Scène

Vic and Flo Saw a Bear: Un piège évident

Dans sa volonté d’adapter des pièces de théâtre et des créations québécoises en anglais, le Talisman poursuit sa mission en présentant Vic and Flo Saw a Bear (Vic + Flo ont vu un ours) de Denis Côté, choix audacieux du metteur en scène et réalisateur Michael Mackenzie. Un passage de l’écran à la scène intéressant qui n’a toutefois pas le mordant et l’étrangeté de l’univers filmique.

Vic (Julie Tamiko Manning), bénéficiant d’une libération conditionnelle, s’installe dans la toute petite demeure qui faisait autrefois office de cabane à sucre. Daniel (Alexandre Lavigne) est le jeune et quelque peu naïf agent de libération désigné pour suivre les activités et le progrès de Vic hors de prison. De plusieurs années sa cadette, Flo (Natalie Liconti) vient rejoindre Vic, son amante, dans ce lieu en marge de la société et de toute action. Tout semble en place pour que la transition soit douce et l’avenir, prometteur. Il n’en sera rien pour le couple, visité par une femme qui veut se venger de Flo.

Mackenzie réussit habilement à faire sentir rapidement l’ennui de Flo, personnage ici beaucoup plus jeune que dans l’œuvre de Côté. La scène, dépouillée de presque tout accessoire, présente les bois comme une échappatoire à l’agitation de la ville, mais aussi à ses vices qui plaisaient à Flo, bien avant son incarcération. Les projections en hauteur pour délimiter les lieux sont bien utilisées, de même que la trame sonore qui les accompagne.

Impulsive et effrontée, Flo ne manque aucune occasion de chercher à provoquer Daniel et à trouver n’importe quelle source de divertissement au village. Natalie Liconti joue à merveille ce personnage frondeur, le campant avec une sensualité brute et une énergie quelque peu sauvage. Julie Tamiko Manning est touchante dans son interprétation juste d’une femme en apparence forte qui est en vérité fragile, effrayée à l’idée que la jeune Flo puisse un jour la quitter.

Au milieu des bois où il ne se passe en apparence pas grand-chose, l’arrivée de Jackie (Leslie Baker) vient chambouler la vie simple des deux femmes. L’intégration de ce personnage se fait en plusieurs segments malheureusement plus ou moins crédibles. Jackie cherche à se venger de Flo, c’est le peu qu’on en sait. Elle se présente d’abord à Vic sous les traits d’une travailleuse de la ville, charmante et lumineuse. Au travers des quelques moments passés avec Vic, ses apparitions, où elle est seule sur scène, sont pénibles et risibles. Certes, il y a quelque chose d’humoristique chez Jackie, avec sa personnalité mielleuse et ce petit quelque chose qui cloche, mais l’acharnement avec lequel la mise en scène la présente comme une menace est forcé et, au final, irritant. Leslie Baker réussit tout de même à apporter une proposition étonnante à ce personnage difficile à cerner.

Il fallait un certain cran pour s’attaquer à ce film maintes fois récompensé de Denis Côté et la mise en scène de Mackenzie apporte des moments savoureux, comme la scène de retrouvailles entre Vic et Flo et celle où Daniel semble vouloir créer un lien amical avec les femmes. Mais le malheur annoncé est si évident que la magie de la suite du récit se perd inévitablement. Mise en scène oblige, peut-être, les éléments les plus discordants du scénario original de Côté (la courte présence du vieil oncle diabétique muet, les »performances » du petit trompettiste en manque de pratique, entre autres) ne sont peu ou tout simplement pas évoqués. Dommage de ne pas goûter à cet humour décalé propre au réalisateur.

Au Théâtre Centaur jusqu’au 2 décembre