Il n’est pas étonnant de voir celui qui s’attaquait à l’Énéide de Virgile il y a une dizaine d’années ainsi qu’au Cycle des Rois de Shakespeare il y a à peine deux ans s’intéresser à La divine comédie de Dante. On commence à connaître les envies épiques du metteur en scène, dramaturge – et désormais directeur artistique du Quat’Sous – Olivier Kemeid; ses désirs d’épopées et de grandiloquence. N’en demeure pas moins qu’il intriguait avec sa dernière production, Sous la nuit solitaire, abordant Dante en s’inspirant des gravures de Gustave Doré et en s’alliant à la chorégraphe Estelle Clareton. Créant une partition pour sept dans laquelle s’entrecroisent danseurs et comédiens, le duo nous offre une proposition d’une heure où l’oppression et le mouvement prennent les devants sur la parole, la sublimant ainsi d’efficace façon.
La scénographie signée Romain Fabre est glaciale: de grands pans de murs blancs aux angles pointus rappellent ces lieux mythiques où les jardins de givre et les flammes de l’enfer cohabitent en souffrance. Alignés au fond de la scène, les interprètes toisent le public dès les premières notes d’une bande sonore tout aussi originale que troublante signée Éric Forget. Avançant ensuite vers les spectateurs sous les lumières tantôt chaudes et suffocantes, tantôt froides et marmoréennes de Marc Parent, cette légion disloquée ne semble guidée par personne. Ne répondant ni à l’éclairage, ni à la musique et encore moins au texte de Dante en fond de scène, le groupe commence une longue errance au cœur des violences du monde. Les images ici sont toujours mouvantes. La parole, elle, demeure ancrée dans le geste. Parfois par la redite, parfois par la surprise, Sous la nuit solitaire surprends à chaque détour. Le public demeure captif, subissant le spectacle dans toute son intelligence, le plaisir ne logeant pas ici à l’adresse du bon sentiment, mais plutôt dans l’étonnante proposition visuelle de Clareton et Kemeid.
L’inspiration autour des gravures de Gustave Doré qui abordaient l’univers de Dante se sent à chaque tableau que le spectacle nous offre. Si jamais la lumière ne joue dans le clair-obscur, la corporalité des interprètes ainsi que leur codépendance convoquent pourtant des peintres tel Le Caravage, Georges de La Tour, Eugène Delacroix ou encore Théodore Géricault. On se doit de souligner le travail ici d’Esther Rousseau-Morin qui livre une performance magnétique, autant qu’Éric Robidoux, qui fascine par la justesse du chaos qu’il parvient à livrer. Là réside le brio de cette proposition: si Kemeid a décidé d’offrir sa première saison au Quat’Sous sous le thème du vivre-ensemble – affichant à l’extérieur de l’édifice le slogan «Habiter la maison à plusieurs» -, c’est exactement ce que Sous la nuit solitaire propose, un amalgame de tableaux, de chorégraphie et de scènes, tous unis sous une même parole, éclairant la nuit qu’on traverse, seul ensemble.
Sous la nuit solitaire
Jusqu’au 2 décembre au Quat’Sous
Mise en scène : Estelle Clareton et Olivier Kemeid
Chorégraphie : Estelle Clareton
Avec Larissa Corriveau, Renaud Lacelle-Bourdon, Esther Rousseau-Morin, Nicolas Patry, Ève Pressault, Éric Robidoux et Mark Eden-Towle
Assistance à la mise en scène et aux chorégraphies : Annie Gagnon
Décor et costumes : Romain Fabre
Lumière : Marc Parent
Musique : Eric Forget
Direction de production et régie : Catherine Comeau