Pour tant de gens, elle est cette actrice qui s’était présentée comme candidate dans la circonscription de Taschereau, cette étrangère sympathique armée d’un discours rafraîchissant. Une carrière politique courte mais marquante qu’elle a mise sur pause pour mieux se concentrer sur la création, la propagation de ses idées et de ses valeurs sur la scène plutôt qu’à la ville. Chez Catherine Dorion, l’art et l’engagement social s’entremêlent au quotidien. Elle est une inclassable, un électron libre, une fille sans cesse à cheval entre deux domaines, deux cliques. «Je vais me faire des ennemis en disant ça. Le théâtre, comme la politique, c’est un milieu avec ses politiciens qui gèrent de grosses enveloppes, qui décident de qui va travailler. Ils ont chacun leur gang, comme le Parti libéral a sa gang. (…) Je finis par gagner ma vie en faisant des ti-guedis, en faisant juste ce qui me tente. C’est pas dans un milieu, je ne veux pas appartenir à une gang. Je vais devenir pognée pour entretenir ma position… Quand tu mets de l’énergie là-dedans, tu ne la mets pas dans ton art.»
Ce n’est pas un hasard si Marianne Marceau, directrice artistique du Jamais Lu de Québec, lui a confié la soirée de clôture de l’édition en cours. Elle lui a offert carte blanche pour la conception d’une œuvre en phase avec la thématique Je suis parce que nous sommes. Catherine, sans surprise, a plongé. Elle nous présente As-tu détruit quelque chose de laid aujourd’hui?, une courtepointe de textes la liant à Bureau Beige (nom de plume), au slameur Thomas Langlois et à la comédienne Annabelle Pelletier-Le Gros, notamment, une vibrante interprète qu’on a pu voir dans Mme G. et Femme non-rééducable. «Elle écrivait sans le dire. Moi, j’aime ça faire émerger du monde de même. J’ai fait le No Show avec elle en Europe et, dans le spectacle, les acteurs écrivent leurs textes. C’est elle qui écrivait ses bouts et… ça me touchait, c’est tellement venu me chercher!» Le dramaturge Gabriel Fournier (Stockholm, le syndrome) et le blogueur Simon-Pierre Beaudet (Fuck le monde) complètent le sextuor. «Tout le monde est arrivé avec des choses superbes», s’émerveille la cheffe de meute. «Comme la foi touchante de l’être humain perdu dans toute la laideur du monde contemporain: les diktats, la laideur physique, mais aussi psychologique. Mais là, c’est pas cynique non plus! C’est, toujours, soit émouvant, soit drôle, soit niaiseux, soit complètement désarmé.»
Ensemble, ils ont dégorgé leurs cerveaux, libéré leurs horaires et jeté leurs listes. Ils se sont offert de la lenteur pour permettre aux mots de naître. Le collectif met le feu dans la pensée productiviste et nous invite à mettre notre obsession de la performance aux vidanges.
Punks du verbe
L’œuvre, la pièce en devenir, pose une loupe sur Québec. Le pamphlétaire Simon-Pierre Beaudet, pour sa part, se penche sur la gentrification de Limoilou. «Il est né dans un quartier où tout le monde avait des barbes longues, des tattoos. Là, il vit dans un quartier où les gars qui ont des barbes longues et des tattoos chassent les quêteux qui viennent dans leurs restaurants. C’est la culture qui a changé, mais ça paraît pas. C’est dans la mentalité qu’on le voit…»
Gabriel Fournier, lui, se risque à l’épineux sujet de la radio-poubelle. As-tu détruit quelque chose de laid aujourd’hui?, c’est aussi, un peu, l’autopsie des idées reçues sur Québec – les gens d’ici votent à droite, sont racistes, tous automobilistes ou poches en anglais. Des généralisations récurrentes véhiculées par des chroniqueurs, des quidams, beaucoup de Montréalais en fait. Un sempiternel snobisme qui heurte beaucoup de monde, dont Catherine Dorion. «Moi, je n’ai plus de pitié pour ceux qui disent ça. Eux, ils vivent dans une gang super homogène. Ils disent qu’ils sont bien plus hétérogènes parce qu’ils ont des communautés culturelles… Mais vous êtes-vous regardés? Vous pensez tous pareil! Vous pensez tellement tous pareil qu’il y a toutes sortes de choses qu’on ne peut pas dire. Le code est super clair. (…) Nous, comme artistes ou travailleurs du milieu culturel à Québec, on vit dans le vrai monde. La gauche et les créateurs de Québec ont pas le choix d’être plus punks. T’as juste pas le choix parce que c’est pas confortable! »
As-tu détruit quelque chose de laid aujourd’hui?
Samedi 9 décembre à 20h au LANTISS
(Dans le cadre du Jamais Lu)