Scène

40 ans de la LNI : «Tout est possible pour ceux qui osent»

Peu de temps après la Révolution tranquille, au moment de l’émancipation sexuelle, de l’éclatement des familles et de Woodstock, Robert Gravel et Yvon Leduc ont eu l’idée farfelue de lancer un spectacle d’improvisation autour de l’univers du hockey. «Il devait être présenté 4 soirs seulement, et ça fait 40 ans que ça dure!»

À l’époque où le mot «recyclage» n’existait pas encore, le Théâtre expérimental a monté un spectacle déambulatoire mettant en scène des animaux vivants et empaillés ainsi que des matériaux récupérés en guise de décor. Le spectacle Le zoo était un terrain de jeu pour quelques jeunes qui voulaient changer le monde avec l’art. On improvisait, autant les mots que les spectateurs, trouvés dans les rues du mois de juillet 1977. Il y avait une cascade d’eau, des poissons rouges, une volière et même une porcherie où Roger, Gaëtane et Rachel, les trois petits cochons, distrayaient le public en faisant des farandoles sous la direction d’un comédien vêtu de blanc. Ce dernier servait des sandwichs au jambon en récitant un discours antimilitariste.

«C’était complètement illégal!», affirme Yvon Leduc, cofondateur de la Ligue nationale d’improvisation (LNI), qui a dû raconter cette histoire souvent au cours de l’existence de la ligue qui vient de franchir le cap des 40 ans. Après un soir de spectacle, sur la terrasse du restaurant de la Maison Beaujeu, Robert Gravel, cofondateur et fan de jeu de société, a lancé le concept d’un Monopoly d’improvisation: «Je trouvais ça un peu statique… On a gardé l’idée de faire un jeu. On s’est dit pourquoi pas des équipes? On a tiré sur ce fil en pensant au hockey. Pendant cette nuit-là, on a déliré un peu là-dessus. Et le lendemain matin, on s’est vu pour le Zoo. Souvent, tu te dis que des idées que t’as eues la veille, un peu saoul, ça ne tient plus la route. Mais celle-là tenait encore la route et on a continué à la développer.»

Robert Gravel, décédé en 1996, s’intéressait à l’improvisation en tant que comédien, alors qu’Yvon Leduc, fan de Cassavetes, faisait de la vidéo légère et se fascinait pour l’improvisation au cinéma. La LNI a eu ses moments de gloire et de reconnaissance, autant à l’échelle locale qu’à l’international. «À la suite de la première tournée en 1981, on se faisait dire qu’on ne pourrait pas vendre un spectacle improvisé, inspiré du hockey sur glace. Je suis revenu avec 22 contrats pour l’année d’après.» En 1982, Le Festival d’Avignon les invite à faire partie de leur programmation officielle.

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Haïti, 2006

Depuis son premier match en octobre 1977, la ligue a visité la Belgique, le Congo, la France, Haïti, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, le Maroc, le Pérou, la Roumanie et la Suisse. Le concept a été réapproprié en différentes langues en faisant grandir la discipline et les destins individuels. Yvon Leduc a récemment reçu un courriel d’Afrique qui l’invitait à assister à la première édition de la Coupe d’Afrique d’Improvisation théâtrale afin qu’on lui décerne une médaille pour souligner sa «grande contribution au développement de l’impro en Afrique» qui a permis d’assurer la survie de nombreux jeunes Africains. Il a imprimé la lettre pour l’entrevue et tenait le papier dans sa poche: «Le courriel m’a fait pleurer. Les gens ne soupçonnent pas l’impact qu’on peut avoir un peu partout. Je leur ai écrit un mot pour leur dédicacer le tournoi. Je leur ai dit exactement ce que j’avais répondu à une journaliste après la première tournée que j’avais organisée.» Cette dernière lui avait demandé l’objectif de ces tournées: «Je lui ai dit: “Moi, tout ce que je souhaite, c’est qu’on se serve du match comme un moyen de rapprochement entre les peuples”.» Dans sa «tête de vieux hippie de l’époque», c’est ce qu’il souhaitait profondément et c’est ce qu’il espère encore pour la LNI à ce jour. «À titre de dédicace, je leur ai écrit: “J’espère que ça va vous permettre de vous rencontrer, de mettre un baume sur ce que vous vivez et vous changer les idées”. La personne de l’Alliance française qui les soutient me racontait qu’ils avaient eu beaucoup de succès avec l’improvisation. Ils ont sorti des jeunes de la rue pour les empêcher de devenir des enfants-soldats. On pourrait développer ça, mais il faut de l’argent et des moyens.»

Malgré les ateliers, les tournées, les activités auprès des jeunes et les mille et une façons de créer un impact positif sur la communauté d’ici et d’ailleurs depuis 40 ans, le financement n’est toujours pas gagné pour la LNI. «On voulait faire une ligue d’impro pour les nouveaux arrivants, afin de leur permettre de se rencontrer, de parler en français et de les encourager à s’exprimer. Il faut trouver de l’argent pour ça et ce n’est pas évident. Ce n’est pas décourageant, mais c’est épuisant.» Le Conseil des arts et des lettres du Québec, qui les a soutenus au fonctionnement jusqu’à maintenant, les a avisés récemment que ce serait peut-être la dernière année…

Les moments forts de la LNI

Dans l’improvisation, où la magie réside dans la notion d’éphémère, le public a eu droit à de grands moments, comme celui de Robert Lepage et de sa prestation New York: réalité ou illusion, devenue un classique. «Quand tu as 700 ou 800 personnes qui se lèvent et qui applaudissent, subjuguées devant une impro magnifique qu’on ne reverra pas (…), c’est ça la force des grandes improvisations.»

La discipline a contribué à démocratiser le théâtre. Certains affirment qu’elle est une bonne école pour les comédiens, mais Yvon Leduc préfère dire qu’elle a «fait école». Sans être nostalgique, il est curieux de la nouvelle création et admiratif face à la génération d’aujourd’hui. «Je pense à Pier-Luc Funk, par exemple. Il a une rapidité d’esprit incroyable, ce jeune garçon-là!» En vieillissant, «c’est comme tout le reste, ajoute-t-il, on est moins alerte». Il y a cependant d’autres qualités qui se développent avec l’expérience, précise-t-il. Néanmoins, le plus important demeure «le contenu et de s’intéresser à ce qui se passe pour que les personnages aient des points de vue sur l’actualité».

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Lille, 2007

La diffusion du premier match d’improvisation à la télé où Michel Rivard a lancé «Les jeunes, lâchez la drogue et improvisez!» est un moment important selon lui, parce qu’il a «sorti Claude Legault de la drogue», comme le comédien le mentionnait récemment à Tout le monde en parle.

Yvon Leduc aborde très peu ce qui s’est passé dans l’arène d’improvisation. C’est la rencontre humaine qui lui tient le plus à cœur et dont il est le plus fier. «Encore aujourd’hui, tout est possible pour ceux qui osent et qui veulent prendre le temps de s’investir, même si les moyens ne sont pas là. C’est en faisant des choses qu’on existe (…). Mon rêve aurait été de faire un match entre des Juifs et des Arabes, mais je ne sais pas si ça peut être possible un jour. Mais pourquoi pas, on peut toujours rêver!»  

Spécial 40 ans
Diffusé à Radio-Canada le 18 décembre