Sans famille ou amis à rejoindre à Vancouver, c’est l’appel de la nouveauté qui pousse le jeune couple à s’établir sur la côte ouest du pays. Rejoints par quelques boîtes au contenu utilitaire ou nostalgique, ils meublent tranquillement un petit appartement qui deviendra au fil des semaines lieu d’enfermement et d’isolement. Car malgré les nombreuses tentatives de se créer un nouveau cercle social en participant à des cours d’anglais, de danse, en assistant à des pièces de théâtre et à provoquer les occasions pour sortir de leur nid douillet, ils se retrouvent la plupart du temps face à eux-mêmes, gagnés par l’ennui et l’incompréhension d’un monde inconnu en apparence si accessible.
Julie Trépanier et Frédéric Lemay personnifient Esther Duquette et Gilles Poulin-Denis, à qui appartient ce récit de voyage et d’adaptation trouble. Ces derniers sont en périphérie de la scène centrale, à commenter l’évolution de ces semaines d’intégration et à orchestrer une mise en scène délicate et très réussie, notamment par des projections et une caméra en direct qu’ils manipulent, offrant de très belles images qui accompagnent leurs alter ego.
Le texte est alimenté par de nombreuses anecdotes hilarantes et de moments amusants autour de la difficulté de communiquer dans une autre langue et d’arriver à créer des liens significatifs avec autrui. Les amoureux en viendront à replonger dans L’hiver de force de Réjean Ducharme, à se laisser bercer par la musique de leurs vinyles, même à se créer un monde à eux, hors des difficultés de ce nouveau quotidien. Lentement, ils s’isolent, dans un royaume à eux, créé sur mesure, sans besoin des autres. Leur douce folie laisse place à une longue et touchante scène où tout est détruit, repensé, dans un ultime besoin d’extérioriser leur mal-être. Outre ce moment bien harmonisé qui fait écho aux Nicole et André de Ducharme, des marginaux qui ont complètement rejeté la société dans laquelle ils évoluaient, la douleur et la détresse des amoureux sont parfois exacerbées à un point agaçant. La finale, quant à elle, crée une synergie entre les auteurs et ceux qui les représentent. Ils trouvent un point d’ancrage à leur quête, mêlant leur vécu à Montréal et à Vancouver pour révéler un monde physique et intérieur qui leur est propre.
Intime et charmant, Straight Jacket Winter invite le spectateur à faire partie d’un voyage intérieur, où l’amour est aussi fort que le désir d’être compris, entendu et intégré à un monde nouveau, où trouver la signification de »home » peut être une route sinueuse et complexe, mais jamais vaine.