La meute / Entrevue avec Guillaume Cyr: «Un show exigeant»
Dix ans après avoir créé À présent à La Licorne, texte écrit en 2005 qui avait récolté le Prix spécial du jury Françoise-Berd et qui a été traduit, joué et encensé à l’international, la comédienne et dramaturge Catherine-Anne Toupin signe La meute, thriller sombre dont Guillaume Cyr, qui y interprète le rôle de Martin, nous en révèle quelques indices, peu après la fin d’une répétition.
Alors qu’il se voyait jouer dans des classiques dès sa sortie de l’École nationale, Guillaume Cyr s’est retrouvé la plupart du temps à jouer des créations et des pièces contemporaines de Fabien Cloutier, Philippe Ducros et Mani Soleymanlou, pour ne nommer que ceux-ci. De belles aventures théâtrales qu’il chérit et qui l’ont mené à aujourd’hui considérer le Théâtre La Licorne comme «son adresse», où il monte à nouveau sur ses planches avec La meute. Difficile de parler d’un thriller psychologique sans en dévoiler les secrets propres à l’expérience du spectateur. «Sophie (interprétée par Catherine-Anne Toupin) est un personnage qui, dès le départ, est très troublé et très traumatisé de quelque chose. Elle est remplie d’une charge extrêmement violente et ne sait pas quoi faire avec ça, se réfugie ou est arrivée par hasard en ce lieu-là et avec tout ce bagage-là et… voyons voir ce qui va se passer!»
Le personnage de Martin (écrit par l’auteure spécifiquement pour Guillaume Cyr) vit dans cette maison de campagne avec sa tante Louise (Lise Roy), qui possède un gîte du passant. Ce lieu sera le huis clos où la violence deviendra un moyen, une solution, une réponse aux événements qui s’y produiront. «Ce que j’ai aimé du processus, c’est qu’on a vraiment travaillé sur une longue période, parce que c’est un spectacle qui demande une grande implication émotive. On s’en va dans des zones sombres, c’est donc très violent. On dirait qu’on avait besoin que les choses creusent. T’as besoin d’y penser pendant une semaine, il faut que les choses se déposent avant de reprendre les répétitions».
Catherine-Anne Toupin et Guillaume Cyr se sont tournés vers Marc Beaupré pour mettre en scène La meute. Ce dernier a offert, dans les dernières années, plusieurs versions revisitées et audacieuses de classiques du théâtre sur les scènes montréalaises, notamment avec L’Iliade, Hamlet_director’s cut, Caligula_remix et Dom Juan_uncensored. Son travail multidisciplinaire a toujours plu à Guillaume Cyr, qui n’a pas hésité un moment à le suggérer pour diriger ce texte difficile. «Il voyait beaucoup ce texte-là comme une grande tragédie égale. Les tragédies ont toujours été d’une intense violence et parfois, ça passe par des actions extrêmes et des actes irréfléchis. Je pense qu’il l’a abordé au même titre qu’un metteur en scène se dit que Michel Tremblay, c’est une tragédie grecque dans Hochelaga. Je trouve ça beau de voir quelqu’un travailler avec un texte hyper réaliste et tout questionner, exactement comme aborder un Sophocle».
Le texte évoque la violence au féminin, un angle très peu exploré en fiction selon l’auteure, qui s’est jointe brièvement à Guillaume Cyr pour expliquer l’idée à l’origine de La meute. Elle avait d’abord été secouée par la réaction du public d’Unité 9, suite à la diffusion de plusieurs épisodes où Marie Lamontagne (Guylaine Tremblay) réagissait avec colère et même avec violence à sa situation. C’était donc la première fois que le personnage osait se rebeller pour mettre fin à ces sévices qui perduraient, une proposition rejetée massivement par le public. «J’ai trouvé ça bien intéressant, parce que, ce que ça veut dire, c’est qu’en tant que public, nous sommes habitués à toujours nous faire présenter les mêmes schémas dans la fiction. Et ces schémas, c’est qu’un homme peut faire tout ce qu’il veut comme personnage; ça, on a tout vu, il n’y a absolument plus rien qui nous surprend. Il peut torturer qui il veut, tuer, violer, être gentil, bon père de famille: tout est possible. Mais les personnages féminins ont beaucoup moins d’espace, parce qu’on les présente toujours un peu de la même façon: des personnes qui vont être en soutien, dans l’oubli d’elles-mêmes, ou des victimes. Elles sont présentées de façon assez systématique. Un peu moins dans les dernières années, mais quand même. Puis sans s’en rendre compte, ils rentrent à l’intérieur de nous et on porte un jugement sur ce qu’on voit en tant que spectateur. J’ai eu envie d’inverser ces schémas-là en créant un personnage féminin qui n’était pas une victime, qui irait au bout de la violence, qui n’allait pas s’arrêter en faisant attention à quelqu’un, qui n’allait pas mettre les besoins de l’autre avant les siens, alors que le personnage masculin est beaucoup plus féminin dans la façon dont il réagit. Il est dans le désir de l’autre, il lui fait attention, il est dans la gentillesse et l’ouverture. Il va même jusqu’à s’oublier dans sa propre sécurité parce qu’il veut plaire».
«Il y a des shows qu’on a hâte de jouer et il y a des shows qui se présentent comme des défis en tant que comédien – et ça veut pas dire que ça va être moins l’fun, affirme Guillaume Cyr. La meute est un show exigeant. C’était un no-brainer de dire oui à cette proposition, mais ça venait avec l’envers de la médaille, c’est-à-dire une grosse charge émotive de travail».
Voilà une perspective sur la violence qui fera certainement réagir le public de La Licorne. «Oui, c’est un spectacle sur la violence, où tous les personnages se trouvent à être violents d’une manière ou d’une autre. Ce que je trouve intelligent et fort de la part de Catherine-Anne, c’est qu’il y a beaucoup de violence venant de la femme, un truc qu’on n’est pas nécessairement habitués de voir. On voit beaucoup plus le schéma de l’homme violent et de la femme victime. Là, ce n’est pas nécessairement le contraire, mais on voit beaucoup de violence féminine, ce qui est rare, et déjà dérangeant pour ceux qui ont déjà eu accès au texte. C’est un processus vraiment tripant».