Olivier Arteau : Une tranche de P'tit Québec
Scène

Olivier Arteau : Une tranche de P’tit Québec

En 2004, Mes Aïeux chantait Dégénération et galvanisait la province entière. Quatorze ans plus tard, le spectre de ce même arrière-arrière-grand-père qui labourait la terre flotte au-dessus de la pièce MADE IN BEAUTIFUL (La Belle Province).  

À l’instar de Claude Meunier, Olivier Arteau s’immisce dans une chaumière et met en scène des personnages plus grands que nature et méticuleusement construits. Un groupe d’individus colorés et forts en bouche qui servent de moteur à cette fable sur le Québec d’hier et d’aujourd’hui, un spectacle étalé sur deux décennies. On les voit passer du joual au franglais, de Marie-Soleil Tougas à House of Cards, du pâté chinois au hummus, de 1995 à 2017. «Ce qui m’a surtout intéressé, c’est notre rapport aux valeurs traditionnelles. Quand est-ce qu’on a arrêté de nous les transmettre? […] J’ai l’impression que la génération de mes parents les a abandonnées en se libérant de la religion. Nous, entre guillemets, on écope de ça. On a perdu des mets autant que certaines fêtes et notre rapport à la musique québécois n’est pas le même.»

MADE IN BEAUTIFUL (La Belle Province) est l’autopsie d’une culture qui, du point de vue de l’auteur et metteur en scène, s’effrite et s’américanise. C’est le regard d’un créateur sur son peuple qui se déracine peu à peu, mais qui, en contrepartie, embrasse des valeurs plus progressistes. «Internet a peut-être fait de nous des citoyens un peu plus ouverts, un peu plus respectueux des libertés individuelles autant par rapport au sexe, à l’orientation sexuelle et à la religion.»

Olivier Arteau a grandi à Joliette, il vit et travaille aujourd’hui dans la Vieille Capitale. Il est né en 1992 et n’a, pour ainsi dire, pas vécu le deuxième référendum ni le combat pour la préservation de la langue. «Les gens de mon âge ne sentent pas un clivage entre les anglophones et les francophones parce qu’ils peuvent avoir des postes de pouvoir, aspirer à ce qu’ils veulent. C’est comme si on avait perdu ce débat-là qui va de pair avec l’essor du nationalisme québécois.» Jayden, l’amoureux de l’ex de Linda, ce protagoniste interprété par le comédien Vincent Roy, représente précisément cette levée de boucliers. Il symbolise également l’intégration sociale plus douce des homosexuels. «J’écris beaucoup en m’inspirant des interprètes, de leur vécu, et il y a Jonathan Gagnon dans le spectacle. Nos discours se sont confrontés par rapport à certains changements… Moi, j’ai pu m’assumer en tant qu’homosexuel à 18 ans et ça n’a pas été un fardeau, confie le dramaturge. Je suis chanceux de ne pas avoir vécu ça comme un enjeu si marquant. Autant on perd des valeurs traditionnelles – et il faudrait se questionner sur les valeurs qu’on va laisser en héritage aux générations futures –, autant il y a quand même du positif!»

Le supplice du miroir

Chaque scène marque une nouvelle année, une autre soirée d’Halloween. «Une fête qui tend à disparaître progressivement», le prétexte parfait pour aborder la question de la réappropriation culturelle. D’abord avec cet homme déguisé en geisha, puis cette fille à la peau (blanche) barbouillée de fond de teint pour ressembler à l’actrice Halle Berry. «Il n’y a pas de moyen de faire un blackface autrement qu’en le plaçant dans le passé et de se dire qu’à cette époque-là, c’était normal! On se déguisait en Indien, en Japonais… On ne se posait même pas la question. […] L’idée, c’était de témoigner de ces changements-là. On a quand même eu des débats importants même si on n’a plus un rêve collectif aussi fort qu’en 1995.»

Le racisme, régulièrement dénoncé, est omniprésent dans ce texte. Le tableau du 31 octobre 2001, millésime de tous les préjugés, sert de cadre pour une série de dialogues à prendre au deuxième degré. Nancy, la soeur de Linda, «l’ignorante par excellence» campée par Ariel Charest, y lance une phrase qui nous replonge dans l’ambiance d’alors: «Les musulmans c’est pas toutes des terroristes, mais toutes les terroristes sont musulmans.» Ce n’est qu’une des nombreuses répliques de ce segment visant à ridiculiser les gens xénophobes et à les cantonner dans le passé.

MADE IN BEAUTIFUL (La Belle Province) s’écoute comme un vieux VHS familial. Les mises en plis et les propos douteux s’y entremêlent pour générer une bonne dose de honte, mais aussi une réflexion sur ce chemin parcouru tous ensemble.

Du 23 janvier au 3 février
À Premier Acte

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