Voyage(s) : Offrir un oasis
C’est l’histoire de Peer Gynt, Ulysse et Don Quichotte qui rentrent dans un bar. On ferme la porte et on met du Jerusalem In My Heart dans le tapis. Pour le reste, il y a la folie créatrice et champ gauche du metteur en scène Hanna Abd El Nour pour tout (dé)lier, l’abandon complet de Marc Béland, le dépassement de Sylvio Arriola et la justesse du mouvement de Stefan Verna. Présenté à La Chapelle jusqu’au 3 février, le Voyage(s) de la compagnie Volte 21 en est un dont le dépaysement n’a d’égal que sa pluralité.
Sur scène, un jardin zen fait de sable qui rappelle le Maroc mythifié du Peer Gynt d’Ibsen ou encore la Mysie de la guerre de Troie de L’Iliade. Ce non-lieu est aussi celui des mirages. Entre l’aridité et l’oasis, le corps demeure en confrontation, tant face au climat qu’à lui-même. Un peu comme dans Nombreux seront vos ennemis, la mise en scène d’Abd El Nour se déplie en corridors tout aussi parallèles que perpendiculaires, tant nord-sud qu’est-ouest. Si l’on présente la pièce autour de ces trois immenses personnages, ils ne sont pourtant que les points de départ de la création, ce avec quoi Abd El Nour a travaillé avec chacun de ses interprètes, ces acteurs mutés en danseurs. Tous évolueront sur des orbites bien précises, se frôlant parfois, s’évitant souvent, leurs textes se répondant seulement si le spectateur le souhaite ainsi.
Au centre de la scène, une structure filiforme ou encore une cage de lumière – les oasis ont cela de particulier: on y voit ce qu’on veut bien y voir – domine le théâtre. Tout le nécessaire d’éclairage s’y retrouve à la verticale, plutôt qu’au plafond. Cet appareillage sera dirigé de main de maître par l’éclairagiste Martin Sirois qui, tout au long de la représentation, créera ça et là, les espaces de jeux, les fenêtres vers l’ailleurs, les percées de soleil et les levers de lune.
Entendez-moi bien, il faut se délester de plusieurs a priori pour faire à nos aises le voyage auquel Hanna El Abd Nour nous convie. Ce qu’il y a de bien, c’est que rapidement on se rend compte que les interprètes sur scène ont, eux aussi, abandonné beaucoup pour se plonger dans cette proposition: ici, tout est mouvement, tout est geste, et plus on avance, plus la simplicité de l’exécution n’a d’égal que l’adversité de sa répétition dans le temps. Marc Béland est hypnotisant de par son dévouement total à sa partition, alors que les tirades espagnoles de Sylvio Arriola ont quelque chose d’un chant ancien. Le confort existe peu dans cette proposition, tant pour ceux qui se retrouvent sur scène que pour ceux qui les épient. L’apport du musicien Radwan Moumneh (Jerusalem In My Heart) tout au long de la pièce est simplement sans tache, tellement chaque chant et chaque morceau interprété au buzuq sont des moments de grâce dans le tourbillon de la proposition. Voyage(s) est quelque chose d’étrange qui se déroule en plein cœur de la cité et parvient, par son abandon si frontal, à réchauffer le cœur des hommes.