Chaloupe : l'exhibition jusqu'à l'écœurement
Scène

Chaloupe : l’exhibition jusqu’à l’écœurement

Sylvianne Rivest-Beauséjour aime s’exhiber. Elle le fait dans son texte d’abord, avec une jolie plume entre poésie et descriptions érotiques – qui tendent au pornographique. L’auteure de Chaloupe, pièce présentée actuellement à La Licorne, parle avec une totale absence de pudeur d’elle et de ses expériences sexuelles, qu’elle décrit par le menu. Ce texte agressif sur la sexualité raconte en fait ses meilleures baises, celles qu’elle a vécues avec un Allemand lors de son séjour à Berlin. Une relation qui l’a rendue quasiment obsessive du corps de l’autre.

Mais si la pièce annonçait en filigrane une réflexion sur les différences culturelles autour de la séduction et des rapports au corps, le contexte de l’Allemagne n’a finalement pas tant de pertinence. Cette histoire amoureuse ou sexuelle, elle aurait très bien pu se passer ici, le Berlin de l’auteure ayant pu être le Montréal hipster. Une toile de fond culturelle qui n’est pas assez exploitée ou même évoquée, si ce n’est pas une brusque tirade en allemand et des références douteuses à l’histoire du pays (le jeune homme est nommé « Ossi », il a des « antécédents sadiques » et une chambre aux restants de communisme…)

Pulsion de vie

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L’auteure s’exhibe aussi physiquement pendant cette pièce où elle est seule en scène. À l’aise dans son texte comme dans son corps, elle passe son temps à se promener à peine vêtue d’un large t-shirt, ou nue pendant qu’elle prend une douche devant le public – scène longuette et pas vraiment justifiée, si ce n’est par le prétexte de se déshabiller, encore. Une autre fois, la voilà la main dans la culotte en train de se masturber… Une comédienne audacieuse, on l’aura compris. Mais avait-on besoin d’en voir tant? L’érotisme est parfois plus fort quand il est subtil.

Oui, Sylvianne Rivest-Beauséjour est vraie, elle est là devant nous, sans costume ou presque, sans maquillage, les cheveux mouillés et la cigarette au bec. Dans son caleçon d’homme et son naturel simple, elle évoque aussi l’androgyne, le retour à l’enfance. Certes, la pièce manque parfois de maturité – mais peut-être se dénaturerait-elle si elle n’avait pas tant de jeunesse?

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Le Théâtre La Licorne donne de nouveau la parole à une jeune auteure, qui à travers le récit de son histoire de sexe passionnée parle de la vie d’une jeune vingtenaire, avec ses questionnements et errements classiques – voyage en Europe, recherche d’une autre culture, d’autres plaisirs, besoin d’enracinement, relation par téléphone, nostalgie du pays, drogue, déception amoureuse… L’exil provoque la pulsion de vie, qui se traduit dans l’écriture et dans une sexualité intense.

Pénis et SMS

On salue malgré tout la performance de Sylvianne Rivest-Beauséjour qui, dans ce solo de longue haleine, écrit et monte sur scène, pleure et rit, exhibe ses seins comme ses souvenirs, joue les dialogues en se répondant – petit bémol, ce choix de mise en scène fait perdre un peu en clarté dans l’histoire, car on mélange parfois les interlocuteurs. Chapeau au scénographe, qui propose un bel espace figurant un appartement berlinois, avec véritable douche et projections qui nous font suivre les échanges de SMS.

Chaloupe, c’est un texte sans aucun complexe et très fier de le dire, qui dépeint la jeune femme québécoise moderne avec sa sexualité affirmée et libérée. Sylvianne Rivest-Beauséjour est une auteure à suivre dans la veine de la prose érotique, à la condition qu’elle travaille plus en subtilité – ici, le texte qui commence tout de suite dans le cru aurait gagné à monter crescendo en intensité. Et si on salue le courage et la modernité de cet exhibitionnisme, on est un peu en overdose au sortir de cette pièce très narcissique centrée sur le « Ich » (je, en allemand), et où le mot pénis a une bonne cinquantaine d’occurrences…

Chaloupe
À la Petite Licorne
jusqu’au 9 février

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