Dis merci : l’invisible autre
À mi-chemin entre la performance et le théâtre, Dis merci, nouvelle création de la compagnie Joe Jack & John, questionne intelligemment notre rapport à l’autre dans tout ce qu’il a d’humain et de maladroit.
Quatre personnages se préparent à accueillir une famille de réfugiés syriens. Joués par des comédiens qui campent leur propre rôle et qui sont co-auteurs du texte, ils sont remplis de bonnes intentions. Ils s’arment de ballons, de gâteaux, mais aussi de leurs idées préconçues, de leur petite gêne de ne pas en faire assez. Cette famille, que nous ne verrons jamais, est le prétexte à ce que se révèlent des enjeux familiers, en même temps que le caractère des personnages. Leurs non-dits et les tensions.
2015, une année qui a vu la crise des migrants atteindre un point de non-retour. Quelque chose nous a atteint cette année-là: 1,5 million de réfugiés ont demandé l’asile à l’Union européenne. On se souviendra également de la promesse électorale de Justin Trudeau qui faisait du Canada une terre d’accueil pour 25 000 réfugiés.
C’est autour de cette notion de la terre d’accueil que se développe les réflexions de Dis merci dans les confrontations entre Dan (Dany Boudreault), Ally (Ally Ntumba), Marc (Mark Baraka) et Emma (Emma Kate-Guimond). Ils portent chacun à leur manière cette aura d’étranger. Étrangers en soi, mais aussi étrangers chez soi. Ally, originaire de Kinshasa, cherche encore sa place, après 15 ans dans sa nouvelle société. Emma, qui nous surprend en se mettant à parler en français au milieu de la pièce, pointe la difficulté pour les anglophones de se faire parler en français. Comme si une barrière devrait toujours exister.
Le personnage de Dan porte à merveille ce mur invisible qu’il tente de détruire à l’intérieur. Il est le personnage qui exprime rage et colère contre les privilèges qu’il ne croit pas posséder. Il exprime peur et doute sur sa propre capacité à accepter l’autre. Il ressemble à beaucoup d’autres, qui se battent pour protéger ce qu’ils croient avoir avant de se rendre compte qu’il n’y a rien à protéger.
Et qu’est-ce que cela veut bien dire être chez soi? Dans ce petit 3 et demi où se déroule l’action, Marc répète inlassablement: «Je suis ici chez moi», ce qui implique que ses amis doivent suivre ses règles. Obéir est l’un des conseils que nous dispensent les personnages, comme celui de prendre sa place, mais de quand même rentrer dans le rang. Fonds-toi dans le décor, sois donc invisible. Des recommandations qui présentent un point de vue inquiétant de notre présent et de notre système d’immigration. L’intégration devient dans ce contexte un mot hypocrite et vide de sens.
La mise en scène de Catherine Bourgeois ajoute une touche de légèreté à quelque chose d’ordinairement lourd, cette chose comme un éléphant au milieu de la pièce que tout le monde fait semblant de ne pas voir. Les couleurs, les moments d’improvisations chorégraphiques, le rythme en fragments participent à la cohérence d’un propos qui nous habite déjà tous les jours, à chaque coin de rue, mais qui finit par devenir invisible. Il ne s’agit pas d’une pièce combative, mais elle atteint son objectif dans sa capacité à nous rappeler ce qui existe autour de nous, en réussissant le pari de le faire avec humour.
Dis merci
Au théâtre Espace Libre jusqu’au 10 février