Jean dit : À l'ère de la grande saturation
Scène

Jean dit : À l’ère de la grande saturation

C’est quoi la vérité? La réponse n’est pas simple, mais chose certaine, à notre époque d’information continue et de faits alternatifs, les gens ont soif de vérité. C’est en partant de ce constat que l’auteur et metteur en scène Olivier Choinière a construit la pièce Jean dit, dans laquelle la musique du groupe death métal Jean Death joue le rôle de catalyseur.

Il y a six mois, Jean dit était décrit comme une fable politique sur l’arrivée au pouvoir de quelqu’un disant connaître la vérité. À ce moment-là, il était pertinent d’affirmer que la pièce était inspirée de l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, mais ce n’est plus le cas maintenant: «C’est de la matière formidable, reconnaît Olivier Choinière, mais parce que c’est partout dans l’actualité, j’ai trouvé nécessaire de réorienter l’écriture de la pièce pour m’en distancier. La nouvelle mouture du récit tourne plutôt autour d’un groupe de personnes qui prétendent dire la vérité, d’un mouvement qui fait tache d’huile dans toutes sortes de classes sociales», résume le metteur en scène rencontré au Théâtre d’Aujourd’hui, accompagné de Sébastien Croteau, connu pour son travail avec Necrotic Mutation, actif de 1991 à 2000 et chanteur du groupe qui accompagne les 12 comédiens sur scène.

En ce qui concerne l’identité de Jean, Olivier préfère ne pas révéler trop de détails à son sujet: «Jean naît d’un jeu enfantin (ndlr: on parle ici du jeu de société Jacques a dit, connu aussi sous le nom de Jean dit). Jean apparaît de façon anodine et il est à l’image d’un courant de pensée souterrain qui finit par tout ramasser sur son passage comme un tsunami.»

L’idée d’avoir un groupe de death métal sur scène est apparue comme une évidence à l’auteur de Mommy (2013), dans laquelle le personnage titre, une morte-vivante de 400 ans, se servait du rap pour remettre en question la notion de nostalgie: «D’une part, la musique semble de plus en plus importante dans mon travail au théâtre parce qu’elle me permet d’aller ailleurs et d’amener le public dans une autre dimension de l’être humain. Dans la pièce, on dit «La vérité n’est plus dans les mots, n’est plus dans le discours (…), la grande vérité est située ailleurs.» Pour moi, la musique transmet ce truc indéfinissable, ce besoin de communion et d’être ensemble qui nous rassemble tous».

photo de répétition par Valérie Remise
photo de répétition par Valérie Remise

Messe païenne

Dès qu’Olivier a contacté Sébastien Croteau, il a su que son intuition d’inclure du death métal à sa création était la bonne: «Il y a quelque chose de radical, d’anti-commercial et de très vrai dans ce chant et cette musique-là.» Il ajoute que dans le cadre de la pièce, le death métal contribue à créer un effet de vérité en brassant la cage du public: «Jean dit raconte une situation absurde qui finalement devient normale. Le death métal représente cela. Au début, il nous rentre dedans puis au fur et à mesure on s’y habitue, on embarque dans le rituel, on embarque dans la messe. On en vient à comprendre les codes, le jeu et l’avalanche de notes qui finit par produire du sens et une expérience importante», résume celui qui se considère comme un néophyte en matière de death métal. «Je savais que c’était le style dont j’avais besoin dans la pièce, car j’en avais déjà entendu en concert.»

Ce qui nous amène à la présence de Jean Death sur scène. Le groupe spécialement formé par Sébastien pour l’occasion est composé du guitariste Mathieu Bérubé (Teramobil), du batteur Étienne Gallo (Hands of Despair) et du bassiste Dominic «Forest» Lapointe (Augury, BARF, First Fragment, Teramobil), des vétérans bien connus des amateurs du style.

Olivier et Sébastien ne croient pas que la musique de Jean Death fera peur au public: «J’ai confiance en la capacité d’adaptation des gens», affirme Olivier en précisant que des bouchons seront donnés à l’entrée. Sébastien renchérit en expliquant que l’expérience lui a appris que les personnes qui ne connaissent pas le style ou qui ne l’aiment pas réagissent différemment lorsqu’ils voient une prestation.

D’ailleurs, Sébastien considère qu’il y a un lien intéressant à faire entre le thème de Jean dit et le death métal: «Selon moi, si on est tant de gens à avoir soif de vérité, c’est parce qu’elle existe. Elle est là, mais elle est brouillée à travers un mur d’impressions et de conceptions de la vérité qui forment une distorsion, une saturation. Cette distorsion est à l’image de ce que le death métal représente pour le commun des mortels, c’est-à-dire un barrage de notes et de fréquences qui ne semblent posséder aucune harmonie propre, aucune mélodie. Pour moi, la pièce est un indicateur de l’effondrement de la raison et de la difficulté à savoir ce qui est vrai à l’ère des faits alternatifs», déclare-t-il. Et le death métal, pour résumer sa pensée, représente la confusion à travers laquelle existe une harmonie (une vérité?) que chacun doit trouver.

20 février au 17 mars au Théâtre d’Aujourd’hui