Titus: Désamorcer
Jouée pour la première fois en 1594 sous le titre de Titus Andronicus ou La très lamentable tragédie romaine de Titus Andronicus, cette pièce n’est pas trop différente des autres tragédies shakespeariennes: viol, meurtre, trahison, déshonneur. Dur à résumer, mais disons que Titus, un général de guerre notoire, revient à Rome sous l’acclamation du peuple saluant ses victoires. Deux frères se disputent le trône et il aura le luxe de trancher. Ça, c’est bien avant qu’il ne perde son honneur, ses enfants et sa main. Et comme toute tragédie shakespearienne, le tout se termine par un sanglant banquet qui n’est pas sans rappeler la finale de Reservoir Dogs, premier long métrage de Tarantino!
Si la metteuse en scène Édith Patenaude et ses Écornifleuses ont décidé de se payer un Shakespeare, ce n’était pas là le fruit d’un hasard. C’est une façon pour elles de célébrer les dix ans de la compagnie de théâtre, tout en mettant en lumière l’un des problèmes majeurs des pièces de répertoire, soit la représentation des femmes et la place qu’elles leur accordent. Pour son adaptation, Édith Patenaude a donc décidé que chaque rôle masculin serait interprété par une femme, alors que les deux seuls rôles féminins de la distribution seraient joués par des hommes. C’est Marie-Hélène Lalande, interprétant Marcus – tribun romain et frère de Titus -, qui accompagne le public au début de la représentation, question de démêler d’entrée de jeu les différents personnages et factions qui prendront la scène pour les deux prochaines heures, le temps de se haïr et de s’entretuer.
Les costumes, signés Noémie O’Farrell, sont très contemporains, mais l’idée d’associer une couleur par personnage se révèle fort utile pour le spectateur qui tente de suivre efficacement l’avalanche de pactes qui ont cours entre la dizaine d’acteurs sur scène. La scénographie, elle, est dépouillée: une scène sans fond, deux rangées de chaises de chaque côté de la scène où s’installent les acteurs lorsqu’ils ne sont pas en scène. Deux tambours sont positionnés dans chaque coin avec micro et une console derrière laquelle se retrouve Mykalle Bielinski qui, au-delà de son rôle dans la pièce, signe aussi la musique de cette dernière.
Titus avance au gré des drames et le choix des interprètes finit par faire son effet auprès des spectateurs, particulièrement pour Guillaume Perreault dans son rôle de Tamora, la reine de Goths, nouvellement mariée à l’empereur Saturninus. Johanie Lehoux est impériale en Titus, lui qui verra petit à petit sa vie s’effondrer. Malheureusement, le ton et l’acuité des interprètes ne sont pas partout égaux. Anne Trudel et Caroline Boucher-Boudreau (respectivement Lucius et Chiron) semblent demeurer dans le grotesque de la proposition, alors que Mykalle Bielinski sert beaucoup plus le projet théâtral avec son interprétation d’Amazing Grace et ses samplings que sur scène. Au-delà des pièces musicales qui sont bien souvent créées sur scène, les tambours voulant rappeler les chants guerriers et souligner le drame de la pièce sont surutilisés, perdants assez rapidement de leur pertinence.
Suite à l’inéluctable et sanglante finale de cette tragédie, Les écornifleuses désirent tout de même nous proposer un épilogue avec cette question: que se passerait-il si tous se réveillaient un matin se disant qu’il n’y a plus de raison de trimbaler tant de haine chaque jour? Que tout pourrait s’arrêter ici, dans la beauté de ce qui résiste. Et le spectateur, lui, sort du théâtre en se demandant pourquoi monter Shakespeare si c’est pour le désamorcer complètement deux heures plus tard? Les deux questions se valent. Les réponses, elles, encore à trouver.
Au Prospero jusqu’au 24 février.
TITUS, une production des Écornifleuses, texte de Shakepeare, traduction d’André Markowicz, adaptation et mise en scène d’Édith Patenaude, avec Mykalle Bielinski, Caroline Boucher-Boudreau, Véronique Côté, Marie-Hélène Lalande, Catherine Larochelle, Dominique Leclerc, Joanie Lehoux, Anglesh Major, Guillaume Perreault et Anne Trudel.