Invisibles : Mauvaise partition
Scène

Invisibles : Mauvaise partition

Une jeune fille quitte le nid familial. À l’aube de ses 16 ans, la relation s’envenime avec sa mère qui ne souhaite pourtant que le meilleur pour elle, sans nécessairement savoir comment bien s’y prendre. Un soir, cette jeune fille quitte vers le Sud, passe la frontière américaine et s’éprend d’une liberté, errant d’un truck-stop à l’autre. Une mère se fait un sang d’encre, un enquêteur s’empare du dossier et une Américaine marginalisée aide Chloé dans sa fuite. D’une vie douillette à une d’errance, Invisibles de Guillaume Lapierre-Desnoyers aborde autant la fuite que la marge inhérente à la fugue. Qui sont ces personnes peuplant l’angle mort du contrat social, ceux que l’on croise quotidiennement, mais dont on ne saurait se souvenir vraiment du visage.

Chloé (Noémie O’Farrell) déteste sa mère (Josée Deschênes). Elle l’appelle sans cesse madame Lise Saint-Aubin, question de rendre cette relation des plus impersonnelle. Sa fugue n’aura donc rien de surprenant pour l’enquêteur (Steve Laplante), lui qui passe ses journées à chercher de jeunes disparus, espérant toujours qu’ils soient encore en vie et sans aiguille au bras. Ça ne prendra pas plus que quelques heures à Chloé pour se rendre aux États-Unis et elle prendra la direction du Mississippi, seul État dont elle se rappelait le nom. C’est là qu’elle fera la rencontre de Stacy (Alice Moreault), une jeune fille de l’Arkansas qui est dans la rue depuis près de cinq ans. Elle lui apprendra tout du béaba de la vie d’itinérance, les pièges et les règles que sous-tend cette façon de vivre hors société.

La scène de la Petite Licorne est occupée d’une immense planche coupant l’espace en diagonale avec, en son centre, une ouverture donnant sur un écran en fond de scène. La salle n’étant pas dotée d’une immense scène – ce qui fait notamment son charme -, le dispositif laisse ici peu d’espace aux comédiens et au metteur en scène pour l’occuper. Josée Deschênes et Steve Laplante sont donc obligatoirement campés de part et d’autre de l’ouverture, alors qu’Alice Moreault et Noémie O’Farrell jouent à même l’ouverture. On projette sur l’écran différentes couleurs ou images rappelant l’anonymat des grandes surfaces américaines et des routes sur lesquelles nos deux protagonistes errent, la proposition étant plutôt faible et servant très peu le texte.

Si la mise en scène d’Édith Patenaude est plutôt statique, faute d’espace, le jeu, lui, est plutôt décevant, faute de partition. Le texte de Lapierre-Desnoyers erre – comme ses personnages – entre deux registres, tantôt très cru, tantôt se voulant poétique. On a du mal à accepter l’un et l’autre sortant de la bouche d’une adolescente en pleine rébellion, étant soit trop cliché dans sa crise d’adolescence, soit trop lyrique dans son rêve de liberté. Noémie O’Farrell peine à s’y retrouver, faute de cohérence dramaturgique. Le personnage de la mère est peut-être le seul qui évolue vraiment durant l’heure de la pièce, reste que ses premières répliques sont plutôt faciles, désirant dépeindre une mère complètement déconnectée de sa fille. L’enquêteur idéaliste qu’interprète Laplante semble joué sur un seul registre, assez monotone, celui d’un homme ne voulant pas trop se laisser affecter par la violence omniprésente à son métier.

Si la pièce de Lapierre-Desnoyers voulait mettre en lumière les existences invisibles qui peuplent nos sociétés en s’inspirant d’une fugueuse sur les routes américaines, la pièce ne parvient jamais à réellement toucher le spectateur, les personnages demeurant à distance. La relation entre Stacey et Chloé semblait être le socle sur lequel reposaient tous les affects de la pièce, mais elle reste pourtant trop en surface durant l’heure de la représentation. En résulte une pièce sans éclat qui n’a malheureusement même pas le mérite de divertir.

Invisibles, une production de Stuko-Théâtre en codiffusion avec La Manufacture.

À la petite Licorne jusqu’au 16 mars.

Texte de Guillaume Lapierre-Desnoyers, mise en scène d’Édith Patenaude, avec Josée Deschênes, Steve Laplante, Alice Moreault et Noémie O’Farrell, décor de Patrice Charbonneau-Brunelle, éclairages de Marie-Aube St-Amand-Duplessis.