Jeunesse embrasée
Quatre ans après sa publication, le roman La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen sera monté sur les planches du Quat’Sous par le Théâtre PàP. Entretien avec l’auteure aux mille et un projets.
Catherine a 14 ans, des parents qui se quittent, des amis qui changent, le goût d’essayer n’importe quoi. C’est Chicoutimi-Nord, en 1996. Le fantôme de Kurt Cobain qui plane, l’ombre de Christiane F. qui se dessine et celle de Mia Wallace qui danse quelque part avec David Bowie, les mixtapes qu’on se fait entre amoureux, les amitiés qui meurent, les autres qui naissent. La mess bon marché ou la meilleure qui vient de Québec. La prémisse reste simple et c’est un peu tout ça, La déesse des mouches à feu, enveloppé d’une couche de drames adolescents racontés avec une verve pure. L’écriture simple, directe, striée de métaphores propres aux excès des 14 ans de Catherine, jeune fille sans histoire, qui veut prendre sa place, dans une vie pas suffisamment explosive.
Et maintenant, en plus de voir sa vie plus tard défiler sur grand écran – le roman fait présentement l’objet d’une adaptation cinématographique signée Anaïs Barbeau-Lavalette –, c’est sur les planches du Quat’Sous que Catherine revivra ses 14 ans, sous la direction de Patrice Dubois et d’Alix Dufresne.
Catherine à travers elles
Propos, somme toute, quasi banal, l’adolescence demeure bien souvent exposée avec une certaine maladresse. Difficile de retrouver la violence et l’authenticité de l’adolescence quand des acteurs dans la trentaine jouent des écorchés qui n’ont pas encore l’âge de voter. En acceptant que La déesse des mouches à feu soit adapté au théâtre, Geneviève Pettersen tenait mordicus à éviter l’«effet Watatatow»: «Pourquoi ne pas aller chercher cette énergie-là, qui est l’énergie du livre, d’une espèce de violence, de naïveté, de candeur […]: c’est le moment où le venin arrive dans la fleur. C’est ce moment-là qu’il faut capter.»
Avec à sa tête 11 adolescentes de 13 à 18 ans qui occupent tous les rôles, la pièce offre une nouvelle tribune au personnage de Catherine, qui se décline désormais en 11 versions, et une nouvelle temporalité, pour joindre «la parole de Catherine et la parole de ces jeunes filles-là. Donc, on va les entendre, on va entendre ce qu’elles ont à dire, maintenant, aujourd’hui. On est en 1996 et en 2018 en même temps.»
En procédant par casting sauvage, les jeunes actrices non professionnelles se sont révélées des atouts uniques pour l’adaptation théâtrale à laquelle elles ont toutes contribué, à leur manière. «Que tu sois élevé à Chicoutimi, à Montréal ou au Wisconsin, tu vis les mêmes interrogations, tu passes par les mêmes étapes, lance l’auteure. […] les adolescentes se frappent au même mur auquel moi je me frappais et se posent les mêmes questions, c’est juste que les moyens ont changé. […] on est dans une société en apparence plus libre, mais la parole des jeunes filles dérange toujours autant.»
Une réalité qui dérange
Cette parole de jeunes femmes en devenir se déploie ainsi sur scène, avec l’aide des metteurs en scène Patrice Dubois et Alix Dufresne qui, eux aussi, souhaitaient que la scène devienne un lieu de partage et de mise en commun d’idées, et d’une prise de parole forte. Ce qu’il fallait, pour rendre justice autant au personnage de Catherine qu’aux actrices qui se sont approprié le texte, c’est se donner le temps, le courage, d’entendre la parole de ces jeunes filles «sans censure, sans poésie nécessairement, dans un très grand réalisme, dans une très grande violence aussi, évoque Geneviève Pettersen. [Ça] nous donne aussi l’impression de regarder par le trou d’une serrure. On a l’impression de voir des choses qu’on n’a pas nécessairement le droit de voir, mais qu’il faut voir. Et ça, ça crée des malaises, et c’est de ce malaise-là que je veux parler.»
Geneviève Pettersen nous fait ainsi revivre l’adolescence, nous replonge dans ce qu’il y avait de plus laid et de plus beau, dans ces années turbulentes, qu’on exécrait, pour la plupart. Jamais planqués, les mots sonnent et trébuchent, comme Catherine et ses amis. Jamais faux, le ton et le rythme s’accélèrent, à chaque tournant pris par un pick-up ou un ski-doo. La musique omniprésente – la direction musicale de la pièce a été confiée à Frannie Holder de Random Recipe et Dear Criminals – martèle chaque journée de ce qui coule dans les veines des jeunes écorchés.
Avec l’aide des jeunes actrices et de la direction proposée par Dubois et Dufresne, le roman aura droit à un nouveau regard, toujours dans l’optique de poser une lunette sur une réalité peu révélée. «[J]’ai été vraiment éblouie par le recul et la capacité de remise en question de ces jeunes filles-là, et de comprendre ce qui se passait pour elles, d’avoir des réflexions sur le féminisme et sur beaucoup de choses», admet Pettersen en évoquant le processus d’adaptation de son roman pour le théâtre. «C’est une expérience artistique et humaine, vraiment incroyable. Ça va transparaître sur la scène parce que toute leur perception de ce texte-là, c’est ça, le show.»
Le trop-plein d’émotions des amours adolescentes se retrouvera certes en première place, mais toujours avec un inconfort dramatique et une violence au corps irréparable. La déesse des mouches à feu offre de voler un petit bout de ces années si vite passées, mais dont les aventures sont semblables à celles d’aujourd’hui. L’important, c’est d’y croire.
Du 5 au 30 mars
Au Théâtre de Quat’Sous