Une bête sur la lune : Pourquoi le monde est sans amour?
C’est l’histoire d’une adolescente qu’on a arrachée à sa candeur, ses 15 ans. Réaliste et brutale, cette nouvelle pièce présentée à La Bordée permet à de nouveaux visages de briller.
Elle s’appelle Ariane Bellavance-Fafard, le Beu-Bye l’a repêchée en décembre dernier, elle se défend bien dans le registre comique, c’est indéniable, mais on l’a découverte hier sous un soir fort différent. C’est elle qui porte ce drame indicible sur ces épaules, ce texte de Richard Kalionoski sis dans les années 1920 qui retrace le destin de deux réfugiés arméniens en Amérique.
Interprète de Seta Tomasian, une partition corsée, la vibrante actrice parvient à communiquer toute la douleur de cette âme estropiée par la guerre encore fraîche et un mariage bien peu heureux. Mustapha Aramis lui donne la réplique dans cette joute verbale à faire grincer des dents, incarnant avec justesse ce mari plus âgé, pieux et misogyne.
Le duo qu’ils forment est d’une redoutable efficacité et on devine que la metteure en scène Amélie Bergeron y est pour beaucoup. Les cris ne sont qu’utilisés qu’avec parcimonie, maximisant l’effet des colères piquées par l’impatient personnage. La comédienne principale s’avère particulièrement transcendante lorsque vient le moment d’encaisser les coups en serrant cette poupée contre son cœur, d’argumenter timidement de cette voix claire, possiblement plus aigüe qu’au naturel. Elle met ainsi en emphase le rapport de force avec cet homme qui voudrait tellement la façonner à sa main, la mettre enceinte, l’asservir à ses moindres désirs. On la sent constamment déchirée entre gratitude et méfiance, terriblement malheureusement dans ce couple sans chimie ni tendresse aucunes.
Pareille situation pourrait sembler impensable aujourd’hui, presque un siècle plus tard. Et pourtant! L’Unicef estime que 31% des filles de moins de 18 ans sont déjà mariées. Un pourcentage qui inclut tous les pays à l’exception de la Chine, des statistiques qui datent de novembre 2017. Aussi dérangeante soit-elle, la prémisse d’Une bête sur la lune est encore actuelle.
Héros de l’ombre
Le spectacle est ponctué par les allées et venues de Jack Robitaille, un grand maître qui captive toujours par sa prestance. C’est lui qui se fait narrateur de ce spectacle déjà très réussi, apportant par le fait même un genre de recul ou un complément d’infos aux scènes qui se jouent devant nous. Fidèle à réputation, à ses habitudes, il donne dans la finesse, la subtilité. Un large éventail d’émotions se déploie en lui sans qu’il ait besoin de forcer la note.
Vraiment, c’est toute la distribution qui épate. On y découvre Rosalie Daoust, une jeune femme qui se transforme pour l’occasion en préadolescent aussi mal-en-point qu’attachant, un garçon de la rue que Seta prendra sous son aile. L’illusion est parfaite, déconcertante. Assez pour croire que l’équipe de concepteurs avait déniché la perle rare dans un court d’art dram d’une polyvalente avoisinante…
Jusqu’au 24 mars au Théâtre La Bordée