Le poisson combattant : La force d'une partition
Scène

Le poisson combattant : La force d’une partition

Un homme s’effondre. Voilà comment on pourrait résumer avec le plus de justesse et de concision Le poisson combattant, solo théâtral du comédien suisse Robert Bouvier écrit et mis en scène par le Français Fabrice Melquiot. Un bon jour sa femme lui demande de partir, qu’ils en sont rendus là. L’homme devra d’abord annoncer la nouvelle à sa jeune fille, avant d’aller se coucher une dernière fois dans le lit conjugal pour partir finalement aux aurores. Au matin du départ, le poisson combattant, qui fascine la petite dans son bocal du salon, se retrouve sur le sol, mort desséché. L’homme décide donc de partir avec ce cadavre, comme une dernière mission, trouver un endroit pour enterrer le poisson comme on enterre le passé.

Se retrouvant à errer de la maison d’un ami à celle de sa mère avant d’échouer à l’hôtel, l’homme passe de la joie à la colère dans ce deuil amoureux classique qui démontre nos élans schizophréniques au cœur de la solitude lorsqu’on perd tout. Si le sujet de la peine d’amour de l’homme blanc occidental n’est pas à ses premiers tours de piste au théâtre, le traitement scénographique qu’en fait Melquiot est fascinant. La scène est découpée d’un drap blanc sur lequel on projet tantôt une avalanche, tantôt des vidéos de la petite fille qu’on a laissée derrière, tantôt de la pluie sur une vitre, sans jamais placer le lieu, mais plutôt une émotion. Que ce soit les vêtements, les chaises, ou le lit qui se retrouve sur la scène, tous les éléments arrivent à point et sont utilisés de façon diablement efficace, renforçant l’ingéniosité de la proposition.

Crédit Cosimo Terlizzi
Crédit Cosimo Terlizzi

Malgré tout, on n’est pas encore arrivés au cœur de la pièce, à ce qui en fait l’un des spectacles les plus intéressants des derniers mois, soit l’alliage du comédien et de la partition. Robert Bouvier livre ici un solo habité, marchant sur le fil de la haine et de la tristesse sans jamais surjouer, alors que la langue de Melquiot est d’une grandiloquence et d’un lyrisme assumés, frappant toujours juste au cœur des choses. On s’en veut, tout au long de la représentation, de ne pas pouvoir gribouiller quelques lignes tellement elles nous marquent. Si on craignait une finale plutôt évidente rappelant Big Fish de Tim Burton – alors que Bouvier se retrouve dans un étang en Italie pour se départir finalement du poisson combattant – on doit faire confiance à Melquiot qui surprend par son inventivité. Ce duo propose un spectacle humainement fort et théâtralement jouissif qu’on portera longtemps en soi.

Le poisson combattant, un texte et une mise en scène de Fabrice Melquiot, avec Robert Bouvier. Au théâtre Prospero jusqu’au 17 mars