Cartomancie du territoire : Ouvrir le dialogue
Il n’est pas tâche facile d’aller à la rencontre du territoire dans toute sa grandeur, toute son immensité. Encore moins lorsqu’on y erre à la recherche d’un dialogue maintes fois refoulé. C’est pourtant la démarche qu’a entrepris le metteur en scène Philippe Ducros il y a maintenant deux ans avec son projet La cartomancie du territoire. Passant par la 132 et la 138, de la Côte-Nord au Saguenay, il a pris la route pour aller à la rencontre de diverses communautés autochtones sillonnant ainsi le territoire québécois. S’alliant avec le vidéaste Éli Laliberté, le musicien Florent Vollant ainsi que les comédiens Marco Collin et Kathia Rock, il présente l’aboutissement de sa démarche à Espace Libre.
Sur un immense écran prenant tout le fond de la scène du théâtre, celle-ci étant cette disposée sur toute sa largeur pour l’occasion, on projette le paysage capturé aux quatre coins du Québec par Éli Laliberté. Divisée en une vingtaine de parties, La cartomancie du territoire se présente au spectateur comme la démarche intime de Philippe Ducros, se mettant lui-même en scène. Ses questions, ses inquiétudes, sa colère, sa volonté. Durant l’heure de la représentation, il offre un florilège des difficiles rencontres avec les différentes communautés autochtones, se butant à des histoires enfouies qu’on désirait que trop rarement déterrer. Kathia Rock et Marco Collin incarnent tour à tour cette parole, tantôt en innu-aimun, tantôt en français, arpentant cette énorme scène au rythme des récits.
La sobriété de la mise en scène est sublimée par les projections vidéo qui parviennent avec efficacité à démontrer l’immensité du territoire. Si l’intégration des multimédias n’est pas toujours un succès, ici elle n’est ni forcée, ni de trop. La langue de Ducros est parfois surécrite et si le jeu des acteurs pouvait sembler à quelques reprises incertain, on se dit qu’il s’agissait d’une première et, qu’au fil des représentations, le tout trouvera son rythme. Car au-delà du jeu, c’est la parole et la démarche qui importent, une rencontre essentielle et véritable avec un angle mort de notre histoire collective. À la façon de J’aime Hydro, la nouvelle production de Philippe Ducros verse dans le théâtre documentaire et devrait s’avérer l’un des spectacles incontournables par la nécessité du dialogue qu’il entame. Quelques années après Idle No More et en plein cœur de la commission Viens, La cartomancie du territoire brille par sa pertinence. Un théâtre qui résonne au cœur de la cité.
Une production de Hôtel-Motel / Texte, mise en scène et interprétation de Philippe Ducros, avec Kathia Rock et Marco Collin / Au théâtre Espace Libre jusqu’au 7 avril 2018