Lucky Lady : Coup de dés
C’est une grande tragédie portée par des héros à la langue alambiquée mais étrangement poétique, une comédie dramatique dans la plus pure définition du terme. Vingt-quatre ans après sa première, Lucky Lady assume pleinement ses petites rides.
La vie est une roue qui tourne. Si Lucky Lady a vu le jour, c’est en grande partie grâce à Michel Nadeau, l’actuel directeur artistique de La Bordée. Jadis, naguère, à la fin de l’an de grâce 1990, l’homme de théâtre avait commandé de courtes formes à une brochette de dramaturges contemporains. Du nombre : un certain Jean-Marc Dalpé, un gars de Sudbury.
Les soirées Passion Fast Food, c’est ainsi qu’on les appelait, lui auront permis une première immersion dans le monde singulier des courses équestres. La langue créolisée et les personnages colorés de Blazzing Bee to Win feront vite de charmer le public de Québec, de l’attendrir par le rire. Assez pour que Michel Nadeau et son équipe du Théâtre Niveau Parking lui commande un spectacle complet, une pièce bâtie sur le même canevas.
C’est ainsi que nait Lucky Lady, œuvre désormais vieillotte et d’autant plus savoureuse que Patric Saucier met ces jours-ci à sa main. Ardent admirateur du Franco-Ontarien moustachu, il n’en est pas à son premier tour de manège auprès de l’écrivain. Il a joué dans Trick or Treat, mis en scène Le Chien, donné corps à ses traductions d’Hamlet et de Roméo et Juliette. Cet univers, c’est aussi un peu le sien, presque une spécialité. « C’est l’un des auteurs que j’ai le plus travaillé, soit comme metteur en scène, soit comme acteur. […] J’aime sa drive d’écriture. Les répliques rentrent comme une espèce de musique un peu cacophonique, mais ça dit tout. Pour les comédiens, il n’y a pas grand sous-texte à faire. C’est super bien écrit. »
Les partitions déjà très « mélodieuses » seront bonifiées d’une trame sonore, une série de morceaux que les acteurs devront livrer eux-mêmes. Tout le monde chante, Valérie Laroche empoigne sa guitare et Jean-Michel Déry y va même d’un solo d’harmonica – instrument qu’il a spécialement appris pour le rôle de Bernie. Daniel Lanoie, Johnny Cash et The Pogues, en autres, seront à l’honneur. Idem pour Dolly Parton, l’idole de Shirley, ce personnage campé par une Frédérique Bradet toute de rose balloune et de paillettes vêtue. Au-delà de la garde-robe, la pétillante actrice avoue s’être grandement inspirée de la yodeleuse et vocaliste western Guylaine Tanguay. Pour la gestuelle, surtout. « Les chanteuses country ont comme une drive dans la vie. Il y a comme quelque chose, c’est large, c’est beaucoup dans les bras. Ça, c’est le fun à jouer. Puis, c’est dans le texte aussi. Shirley peut pas être timide. Son corps est ouvert, on dirait. »
Frédérique Bradet: « On est attachés. Moi, j’ai de l’empathie pour Shirley et pour tous les autres. T’as le goût de les serrer dans tes bras. Ils font des mauvais choix, ça c’est indéniable, ils en ont fait beaucoup et en feront encore, ils apprennent pas vite, mais ils sont attendrissants. »
Amène-moi aux courses
Dans la foulée des premières Italiennes, Patric et sa bande ont pris le chemin de Trois-Rivières et de son hippodrome. Ils en ont scruté le décor, observé les protagonistes. Choc culturel. Leur pièce prenait vie sous leurs yeux avec ses gamblers discrets, ce même lexique anglicisé, les chevaux aux noms presque pareils. « On voyait nos personnages, confie Frédérique. Ma plus grande surprise, ç’a été de voir que le monde est pas euphorique, c’est ben sérieux pour eux. C’est très intéressant. Moi, j’ai été contente de voir ça avant de m’embarquer dans le travail. »
« On est dans l’esprit des Frères Cohen », ajoute le metteur en scène. Au-delà des jockeys et de leurs étalons, Lucky Lady met en lumière de sympathiques losers, de bons bougres perpétuellement tentés par le diable. Le plus touchant de tous est sans doute le Bernie de Jean-Michel, un gars en fauteuil roulant qui se refuse à son sort. « Le défi, c’est de ne pas bouger les jambes justement! Non mais, honnêtement, j’aime ça. Je sais pas, c’est relax, ça amène autre chose. J’ai été blessé dernièrement dans un autre show et j’avais une canne. Physiquement, ça t’amène ailleurs, déjà dans la composition, parce que t’as quelque chose qui t’empêche d’agir normalement. »
L’histoire de Bernie, c’est aussi celle d’un « tendre bum » hanté par son passé trouble, d’un nouveau père qui tente par tous les moyens de se reprendre, se racheter. La ligne est souvent si mince entre gaffe et mauvais coup…
Du 10 avril au 5 mai à La Bordée