Amadeus : La vie est injuste
Il est l’enfant star par excellence du 18e siècle, le Michael Jackson du Saint-Empire romain germanique. En seulement 35 ans, Mozart a eu un impact retentissant sur l’art, la musique, l’imaginaire collectif. Alexandre Fecteau l’honore d’une mise en scène à sa pleine mesure.
Il lui fallait s’éloigner du long métrage oscarisé de 1984, de l’adaptation cinématographique du réalisateur tchèque Miloš Forman. Le dramaturge Peter Shaffer en signe le scénario, certes, mais il s’est lui-même donné le droit de remanier son œuvre phare depuis. «L’auteur a beaucoup retravaillé son texte, surtout sa finale. Il considère qu’il y a six versions et le film serait la deuxième ou la troisième. […] Nous, on a décidé d’intégrer la dernière version de la scène finale qui est franchement différente, explique Alexandre Fecteau. C’est une vraie confrontation entre les deux hommes.»
Amadeus cristallise une rivalité épique, une tension comparable à celle qui s’immisce entre les rappeurs de notre ère. Extrêmement compétitifs l’un envers l’autre, Salieri et Mozart ont fait du Burgtheater leur champ de bataille. «C’est sûr que c’est la rencontre du génie, admet Jacques Leblanc, interprète du pauvre Salieri. Ça, c’est une affaire qui est difficile pour quelqu’un qui, jusqu’à présent, s’était consacré entièrement et totalement à cet art-là. Quelqu’un qui, jusque-là, pensait être l’instrument de Dieu. […] Tout à coup, il voit que le génie, c’est pas lui qui l’a, c’est l’autre à côté. C’est une claque dans la face épouvantable et, en même temps, il l’admire. C’est ça qui va être passionnant à jouer.»
Le personnage principal n’est, pour ainsi dire, pas celui qui donne son prénom au titre. C’est plutôt Antonio Salieri, cet Italien rongé par la colère et l’envie qui s’efforce de rester droit, fier. Même pour un acteur de la trempe de M. Leblanc, la partition dudit antihéros s’avère joyeusement corsée. D’abord à cause de ce texte si long qu’il a commencé à mémoriser en juillet, mais aussi parce que le compositeur y évolue sur quatre décennies sans le moindre passage en coulisses. À défaut de changement de costumes, tout doit passer par le geste, le débit de sa voix. Un défi immense. «C’est tellement stimulant! Quand Alexandre m’a appelé, j’étais en train de répéter pour L’avare. Je me disais, bon, que c’était sûrement mon dernier grand rôle. Il m’a appelé pour me dire qu’il montait Amadeus. Je lui ai dit: “Tu ne vas pas me demander de jouer Salieri, j’espère?” Et là, il m’a répondu que oui. Je me suis mis à pleurer. J’étais tellement heureux!»
C’est Pierre-Olivier Grondin qui lui donne la réplique, un finissant de la cohorte 2012 du Conservatoire d’art dramatique, un comédien dans le vent aperçu dans Quills aux côtés de Robert Lepage. Devant ce vertigineux mandat, l’acteur fouille dans la psyché de ce workaholic d’avant l’invention de cet anglicisme, de ce prodige harassé qui a vécu deux fois trop vite et qui a été poussé vers les feux de la rampe alors qu’il n’était encore qu’un tout petit garçon. «Il a tellement commencé jeune, il s’est tellement fait dire qu’il était extraordinaire… La musique lui a permis de se rendre à la cour, mais en restant un enfant dans un corps de 25 ans.»
Tout au long de la pièce, Mozart masque son mal-être par ses blagues grivoises et son rire sonore suggéré dans les didascalies. Sa souffrance était si vive qu’elle l’aura, sans doute, poussé dans les bras de la faucheuse de façon prématurée. À ce sujet, Alexandre choisit justement d’intégrer une nouvelle théorie sur les causes de son décès. «Le père du personnage de Marie Gignac, Van Swieten, était médecin et avait concocté un genre de boisson remontante dont Mozart, paraîtrait-il, était très, très friand, voire accro. Moi, je me dis que c’était un genre de Red Bull un p’tit peu spécial! Mettons entre le Red Bull et la Chartreuse. Ça devait être à base d’herbes et de je sais pas trop quoi, ça devait être toxique et c’est ça qui, probablement, lui aurait détruit les reins et fait mourir si jeune.»
«Pour moi, c’est pas un drame historique!»
Aidé du scénographe Michel Gauthier et de la costumière Kate Lecours, le metteur en scène s’efforce de rapprocher le drame viennois de notre époque, de notre quotidien. Son Amadeus sera un spectacle sans moumoute, promet-il dans un rire, ni décor baroque.
Alexandre Fecteau, bien connu pour ses créations contemporaines (Le NoShow, Hôtel Dieu), ne donnera pas dans la demi-mesure en accordant l’histoire de Mozart et Salieri au présent. La musique y sera intégrée de belle manière avec un quatuor à cordes, la pianiste Anne-Marie Bernard et quatre chanteurs qui se mettront en bouche les airs des opéras évoqués dans le texte. L’enlèvement au sérail, Les noces de Figaro, La flûte enchantée et Le Requiem, bien sûr. Une mise en abyme ambitieuse, «une scène sur la scène, une conception dans une conception.»
Du 24 avril au 19 mai
Le Trident