Béa : une question de vie ou de mort
C’est une variation sur le thème du film Intouchables que nous propose cette pièce de l’Irlandais Mick Gordon. À la place d’un riche cinquantenaire tétraplégique et de son aide à domicile, on suit Béa, jeune fille atteinte d’une maladie dégénérative, et son nouvel aide-soignant Raymond. Béa est blasée par sa vie entre souffrance et maladie, tandis que le bavard, joyeux et foufou Ray va réussir à la faire rire et à briser la monotonie de son quotidien.
Le petit hic, c’est que Béa veut mourir. Elle sait lucidement qu’elle n’ira pas mieux et se sent emprisonnée dans sa vie. Elle veut la liberté; celle de la mort, celle du choix. Sa mère, une avocate rigide (touchante Suzanne Lantagne), refuse d’écouter sa fille et d’accéder à sa demande. Ce petit trio improbable évolue ainsi en huis-clos dans la chambre de Béa. La mère sévère ne tolère le fantasque Ray que parce que sa fille insiste; mais l’aide-soignant saura petit à petit l’apprivoiser.
Le tour de force de l’auteur – dont le texte a été ici traduit par Yannick Chapdelaine, qui interprète aussi le fougueux Ray -, est de rendre cette pièce incroyablement drôle, malgré son thème principal, la question de l’aide à mourir. On passe la majeure partie du temps à rire franchement devant les situations cocasses, les répliques cyniques de Béa, désabusée, et les longues tirades énergiques de Ray – c’est d’ailleurs sur l’excellent jeu de Chapdelaine que reposent la plupart de ressorts comiques.
Un humour qui fait d’autant plus de bien que la pièce aborde les enjeux délicats entourant la maladie dégénérative : l’enfermement de la famille dans la maladie (le père de Béa est parti, sa mère ne fait que travailler et couver sa fille), l’empathie – ou non – de l’entourage du malade, l’impossibilité pour Béa de vivre sa sexualité, son absence de vie sociale et, surtout, son désir de mourir. Et pour y arriver, elle a besoin d’aide.
Le huis-clos et la belle mise en scène d’Olivia Pallaci illustrent bien l’isolement de Béa, clouée dans ce même lit depuis huit ans tandis que les gens qui l’entoure entrent et sortent, vont et viennent dans le monde extérieur. On est aussi témoin de son enfermement dans une routine implacable, entre toilettes, repos, repas et temps de lecture…
La comédienne Alexandra Cyr est magnifique dans le rôle de Béa, interprété dans une immobilité parfaite du corps et en passant uniquement pas des mouvements, expressions de visage et surtout regards, si forts et touchants dans leur détresse ou leur détermination. Le simple contraste entre l’actrice pendant la pièce et durant son salut final suffit à voir toute la discipline et le solide travail de jeu physique auquel elle s’est donnée.
Sans tomber dans le pathos, la pièce traite l’épineuse question du suicide assisté avec beaucoup de sensibilité et, disons-le, de normalité. Si elle a été originalement montée en 2015 au Prospero, Béa est toujours criante d’actualité; une belle idée que cette reprise. Ce qu’on reprocherait à la pièce, c’est d’être allée parfois trop loin. Certaines choses sont en effet plus fortes dans l’évocation que dans la démonstration.
Enfin, la pièce prend partie en toute subjectivité sur la délicate question de la fin de vie… Il aurait peut-être été plus touchant de terminer sur une fin en suspens, dans le doute, pour laisser le spectateur imaginer ou choisir. Dans tous les cas, le résultat aurait été le même : un public tout en larmes et reniflements en quittant la salle après cette soirée en ascenseur émotionnel.
Béa, de Mick Gordon
Mise en scène d’Olivia Palacci
Au Théâtre de la Licorne jusqu’au 4 mai