Femmes en scène
Scène

Femmes en scène

Alors qu’une association dénonce la quasi-omniprésence des hommes à l’écriture et à la mise en scène, un théâtre lance une «année de femmes». La parité est-elle encore un combat au théâtre?

Parmi les pièces proposées par la Grande Licorne de 2012 à 2017, 7% des metteurs en scène étaient des femmes. Un chiffre qui descend à 4% pour le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Côté auteurs, la programmation du Théâtre du Nouveau Monde, durant cette même période, comptait 7% de textes écrits par des femmes, et aucun pour le Théâtre Duceppe.

Voici quelques-uns des chiffres soulignés dans une brochure qui était distribuée cet hiver dans des théâtres montréalais. À l’origine de cette opération, l’organisation Femmes pour l’équité en théâtre (FET). Si les pourcentages cités ci-dessus mettent en avant les pires élèves, la moyenne montréalaise n’est pas si reluisante pour autant. Dans un autre document distribué par la FET, on pouvait lire: «Cette saison, une tragédie se joue sur les scènes. Et ce n’est pas Antigone. En 2016-2017, seulement 26% des textes et 34% des mises en scène présentés dans les théâtres de Montréal sont l’œuvre de femmes.»

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Cette association a commencé avec une conversation initiée par une metteure en scène sur Facebook: elle dénonçait le fait qu’en sept ans, un seul prix Michel-Tremblay avait été attribué à une femme (Jennifer Tremblay pour La liste, en 2010). «Et encore, c’était un prix ex æquo avec un homme, regrette Alix Dufresne, metteure en scène et cofondatrice de la FET. Les femmes sont sous-représentées parce qu’il y a un préjugé sur leur capacité à gérer une équipe, à mener un projet. On leur fait moins confiance. Mais moins on met de femmes en avant, moins elles ont de modèles et moins elles vont se sentir légitimes à prendre leur place…»

Créée il y a un peu moins d’un an pour tenter de remédier à la situation, la FET compte aujourd’hui environ 200 membres qui se rencontrent pour prendre des initiatives et organiser des actions publiques et médiatiques. Certaines se rendent par exemple avec des «ballons de FET» dans les halls de théâtre où sont jouées des pièces écrites ou mises en scène par des femmes. Un recueil intitulé Femmes en scène a également été lancé fin mars, dans lequel 65 auteures, metteures en scène, actrices et conceptrices prennent la parole. Citons encore parmi leurs actions une prise de parole à la librairie l’Euguélionne, une pièce présentée dans le cadre du festival Phénomena ou encore une discussion publique prévue lors du festival du Jamais Lu.

Les quotas, «un mal nécessaire»

Pour faire changer les choses, Alix Dufresne recommande une attention plus poussée à la parité dans les écoles et les formations en théâtre: «Il faut que les femmes aient la chance d’être à talent égal.» Elle suggère également la mise en place de quotas en faveur des femmes, même si elle n’aime pas ça: «C’est un mal nécessaire. Au moins pour quelques années, ne serait-ce que pour donner aux gens l’habitude de réfléchir à ce problème.» Une idée qui n’enchante pas du tout Denise Filiatrault. «Ah non, s’il vous plaît, pas de quotas en art… Je suis une féministe de la première heure, mais je ne vais pas choisir une auteure ou une metteure en scène par charité!»

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Alix Dufresne

Pour la directrice du Théâtre du Rideau Vert, le choix d’un metteur en scène n’est pas une question de sexe. D’abord, elle relève que l’on compte beaucoup plus d’hommes que de femmes chez les auteurs classiques. «Et puis, c’est le talent qui compte, pas le fait d’être un homme ou une femme… Oui, il y a du talent chez les femmes, mais encore faut-il qu’elles veuillent prendre leur place. Elles l’auront si elles font tout pour la prendre, si elles prouvent qu’elles peuvent la prendre. Et encore, on n’est pas si mal ici; ce problème de parité, c’est mondial. Et puis il y a beaucoup de femmes qui préfèrent être sur scène plutôt que mettre en scène…»

Les femmes seraient-elles donc plus sur scène qu’en coulisses? «Il y a environ deux fois plus de femmes dans le métier que de rôles disponibles, contrecarre Alix Dufresne. Il y a déjà moins de rôles de femmes dans les pièces classiques… Et dès que tu passes le cap de la trentaine, il y a beaucoup moins de rôles qui te sont proposés.»

Programmation 100% femmes

En attendant, la directrice du Rideau Vert dévoilait fin avril une programmation 100% féminine pour 2018-2019. Intitulée Place aux femmes, cette saison propose notamment des mises en scène de Sophie Clément (Les fées ont soif), Nathalie Lecompte (2018 revue et corrigée), Marie-France Lambert (Art), Marie-Thérèse Fortin (L’éducation de Rita) et Denise Filiatrault (Le Schpountz). En outre, la pièce féministe Les fées ont soif ne regroupera que des femmes, tant au texte et à la mise en scène qu’à la distribution, les accessoires, les décors, les costumes, les éclairages, la musique, les maquillages et les coiffures.

«En faisant la part belle à la gent féminine, je souhaitais avant tout que des projets portés par des femmes prennent place sur notre scène, et faire ainsi découvrir leur sensibilité et entendre leur voix», indique Denise Filiatrault dans la présentation de la saison. En entrevue, elle ajoute: «J’avais envie de travailler avec des femmes… Je me suis dit que ça serait intéressant et que ça ferait changement.» Une programmation bouclée il y a deux ans, mais avec une thématique qui tombe plutôt au bon moment dans le contexte actuel où la question de la femme et de la parité est souvent posée.

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L’Éducation de Rita – Théâtre du Rideau Vert

«C’est pas des années de femmes que ça prend, c’est une programmation équitable chaque année. Ne fêtons pas l’exception, faisons-en la règle», répond Alix Dufresne face à ce type d’initiative. «C’est un paquebot très long à tourner. Les choses changent un peu, mais parfois certains directeurs de théâtre le font par principe, sans comprendre le fondement du problème. Ou alors ils prennent des initiatives uniquement pour la bonne image de leur théâtre.» La metteure en scène regrette aussi que parmi les décideurs, beaucoup tombent dans le droit de réserve. «Je ne pensais pas que ça arriverait dans le théâtre. Je pensais que les gens du milieu avaient de la sensibilité, de l’empathie…»

Mais il n’y a pas que la question de l’équité qui travaille la metteure en scène; elle dénonce aussi un machisme ambiant encore bien présent dans le milieu. Elle raconte se faire parfois appeler «ma belle» et se faire encore traiter avec condescendance par des comédiens parce qu’elle est une femme. «Il n’y a pas une seule production où je ne vis pas de discrimination. Et contrairement à d’autres secteurs, là, il n’y a pas de patron ou de syndicat des metteurs en scène. Il n’y a personne pour te protéger.» Sur les quatre générations de femmes représentées dans la FET, toutes disent avoir été discriminées à un moment ou à un autre, rapporte Alix Dufresne. Ce qui n’est pas le cas de Denise Filiatrault, qui pour sa part assure ne pas en avoir connu dans sa carrière… Bref, la question de la place des femmes au théâtre est encore d’actualité. Et elle divise toujours.