La vie utile : chantier poétique
Visitée par la Mort, Jeanne négocie quelques instants de plus à son existence afin d’acquérir un temps de réflexion avant sa perte. Evelyne de la Chenelière nous entraîne dans un jardin secret d’angoisses existentielles où l’on se perd inévitablement.
Jeanne (Evelyne de la Chenelière) revoit ses parents, deux figures contradictoires que rien ne lie mis à part leur enfant, dans des souvenirs d’enfance et d’adolescence évoqués par Jeanne d’Arc à laquelle l’adulte s’identifie. La mère (Christine Beaulieu) est aimante et surprotectrice. La comédienne apporte une dimension spontanée et très drôle à des souvenirs d’une enfance truffée de références au religieux, à la flore et aux relations familiales troubles.
Sophie Cadieux en Jeanne d’Arc charnelle, rebelle et imprévisible, accrochée à son échelle qui fait le pont entre la scène et un ailleurs incertain, semble évoquer la révolte et un appétit pour la vie adolescents qui prendront fin inévitablement. La figure du père, interprétée par Jules Roy Sicotte, n’apporte que peu d’informations, sinon qu’il avait plusieurs amants, jeunes et beaux, et que sa présence dans la vie de la femme était presque fantomatique.
Le spectateur se voit submergé par un flot de paroles ininterrompu où il ne semble qu’absolument rien n’a voulu être mis de côté pour bien manifester une ultime quête de sens, à quelques instants de la mort. Il y a dans cet espace scénique éclaté, où le temps est en suspension, une possibilité inouïe que l’auteure a su saisir pour aborder les dimensions réelles, spirituelles et métaphysiques de l’existence de son héroïne.
Mais les personnages, pris dans des tourbillons de pensées très intimes, finissent par paraître lointains, tant le texte est dense. Malgré une écriture riche, puisée à même une belle fragilité et des questionnements très intimes, il devient difficile, voire lassant de s’accrocher au tourbillon existentiel continu de La vie utile et d’en faire une expérience personnelle.
La mise en scène de Marie Brassard, caractérisée par des chorégraphies distinctes pour chaque personnage, délimite à merveille les mondes complexes contenus sur la scène, où une forêt luxuriante se métamorphose au fil des interventions. Collaboration précédente entre Evelyne de la Chenelière et la metteure en scène, La fureur de ce que je pense, présentée dans le cadre du FTA 2017, parvenait à rendre toutes les facettes de Nelly Arcan accessibles, malgré la distance physique imposée par le décor et les propos très intimes du texte.
La vie utile devient peu à peu étourdissante et difficile à cerner, bien qu’on voudrait se laisser porter dans ce flou volontaire dans le temps et l’espace. Malgré tout, la mise en scène, au sein de la superbe scénographie d’Antonin Sorel, réussit à évoquer une certaine angoisse, un flottement du réel qui sied parfaitement au texte.
La vie utile
Jusqu’au 1er juin
Théâtre Espace Go