And so you see… au FTA : Requiem pour lépidoptère
Scène

And so you see… au FTA : Requiem pour lépidoptère

Dès notre entrée en salle, la nymphe est sur scène, prête à éclore. On prend place alors qu’une caméra projette sur un immense écran sa respiration, le tissu se relevant à chaque inspiration. Dos au public, Albert Khoza est une chrysalide qui attend le bon moment pour se fendre. La foule s’installe, les lumières s’éteignent et les premières notes du Requiem de Mozart prennent l’espace d’assaut: le rituel peut débuter. C’est très tôt que l’on comprend qu’ici les codes du théâtre et de la danse ont été laissés à l’entrée. Une liberté pure, assumée et charnelle sera au cœur de la performance. Ainsi commence And so you see… Our honorable blue sky and never enduring sun… can only be consumed slice by slice… de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin, comme un rite qui se déroule à mi-chemin entre une église et un autel nubien.

C’est sur cette pièce de Mozart, donc, que le technicien viendra enlever lentement les lambeaux de tissu formant le cocon de l’interprète. Petit à petit, on découvre un Albert Khoza complètement enveloppé dans du papier pellicule, de la tête aux chevilles. Le papillon devra encore attendre avant de prendre son envol. Le mouvement, tout comme le corps, est suggestif chez Khoza. Physique immense et souverain, ni homme ni femme, c’est cloche à vache au cou qu’il fera face au public une première fois, mimant l’orgasme. Plus tard, c’est un plateau d’oranges solaires sur les cuisses et couteau de boucher à la main qu’il dérangera, les mangeant une à une, goûtant la chair sans réserve aucune. Le jeu de miroir que crée sa présence scénique (de dos) et sa présence à l’écran (de face, plan rapproché, plongé) permet à Orlin de façonner du mouvement dans le statisme, de jouer sur des angles morts d’une scène pourtant épurée.

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Libéré du papier pellicule qu’il a lui-même découpé en faisant glisser le couteau entre la membrane de plastique et sa peau, l’interprète prend son envol pour ce qui reste de l’heure à venir. Tantôt invitant deux membres du public à venir le laver, tantôt dansant avec un GIF animé de Vladimir Poutine, tantôt en se déguisant en reine nubienne, Khoza assume pleinement son corps jusqu’à la fascination, cette souveraineté de l’être fonctionnant comme une performance en soi. On ne peut s’empêcher de penser qu’après le premier tiers, lorsque la parole est libérée pour la première fois, la représentation perd un peu de son souffle, le mystique s’échappe un peu de la salle. Lorsqu’on mentionne à Poutine «qu’il est mieux de danser avec ses armes que de tuer des gens», on se dit que de telles évidences n’ont pas besoin d’être nommées. On aurait préféré ici une plus grande confiance tant au mouvement qu’au public.

Reste que lorsque la finale se met en branle et qu’Albert Khoza, complètement nu, se peint lentement, charnellement, le corps d’une peinture bleu éclatant alors que Lacrimosa de Mozart résonne vertigineusement, on a la certitude d’assister à quelque chose de grand. Les discours sont multiples et pertinents dans cette offrande de Robyn Orlin: colonialisme, fluidité du corps et des genres, l’importance du rite païen et j’en passe… On aurait toutefois préféré avoir un peu plus de place en tant que spectateur dans cette proposition. Le duo Orlin/Khoza parvient à créer de brillantes images et d’efficaces métaphores, mais c’est dommage qu’on ait senti le besoin à un moment de la représentation de nous prendre par la main pour nous les faire visiter. Toutefois, pour certains tableaux d’une rare puissance et d’une fragile beauté, célébrons cette rencontre et espérons qu’elle exhorte les deux artistes à poursuivre une démarche artistique commune.

fta.ca

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Un spectacle de Robyn Orlin / City Theater & Dance Group, interprétation Albert Silindokuhle Ibokwe Khoza, costumes Marianne Fassler, lumières Laïs Foulc, régie générale Thabo Pule. Au Théâtre Rouge du Conservatoire jusqu’au 4 juin.