Alexia Bürger : les autres et moi
Scène

Alexia Bürger : les autres et moi

Après le succès bien mérité de la pièce Les Hardings, la metteure en scène Alexia Bürger sera une femme bien occupée dans les mois à venir. Rencontre avec cet esprit pour qui l’humain reste l’essentiel au théâtre.

«Je suis une femme, une artiste de théâtre. Je dirais que je suis une mère, c’est assez important dans ma vie. Une femme de 40 ans mieux dans sa peau qu’elle ne l’a été plus jeune.» La comédienne et metteure en scène Alexia Bürger joue le jeu en répondant à cette question identitaire toujours trop large pour être posée. Tout de même, elle isole ces trois statuts qui ne sont en rien anodins.

Formée au jeu, elle penche néanmoins davantage vers la mise en scène qui lui permet de faire ce qui revient comme un leitmotiv dans son discours: se lier aux autres. «Je me rends compte que ce qui m’intéresse à travers l’art, ce sont les liens que ça crée entre les humains, les liens que la vie de tous les jours ne nous permet pas forcément de créer. D’avoir un espace où je peux les créer en dehors des jugements, en dehors de la morale, c’est arriver à rencontrer l’autre autrement.»

Les obsessions sociétales

Cette démarche artistique centrée sur l’humain révèle les possibilités du théâtre de dévoiler les rouages sociaux qui la fascinent. Les Hardings, inspirée de la tragédie de Lac-Mégantic en 2013 et présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui au printemps dernier, en est un exemple.

C’est son projet le plus personnel, nous confie la metteure en scène, et le premier texte qu’elle signe de son seul nom. «Les Hardings traitait à la fois de questions politiques et du système auquel tout le monde participe; et de questions extrêmement personnelles, comme mon rapport à la catastrophe, à la mort, à l’après, à la perte des autres, à la culpabilité.»

Belles-sœurs universelles

Dans le cadre de la 10e édition de Dramaturgies en dialogueLes belles-sœurs de Michel Tremblay fêtera ses 50 ans de création en s’offrant une mise en lecture polyphonique dont Alexia Bürger assure la direction; une proposition du Centre des auteurs dramatiques (CEAD) qu’elle n’a pu refuser. «Ce qui m’attirait là-dedans, c’était de savoir ce que Les belles-sœurs disent quand elles sortent de la notion du joual, ce que ça témoigne de notre aliénation lorsque c’est exprimé à travers une autre langue, une autre culture.»

Dans cette pièce emblématique, on retrouve une Germaine Lauzon créole, une Linda qui parle en flamand, ou Angéline et Rhéauna parlant yiddish. Du tamoul au catalan en passant par l’arabe, Les belles-sœurs polyphoniques mettra en scène 15 femmes, chacune dans sa langue maternelle et son unicité. Un changement de perspective où se déploient plusieurs questionnements.

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La traduction – qui relève aussi d’un travail d’interprétation – était bien sûr l’un des défis de ce projet métissé, autant dans la recherche de comédiennes qui parlaient spécifiquement une langue que dans la réception prochaine de l’œuvre. «Comme spectateurs, on ne comprendra certainement pas toutes les langues qui sont parlées. On va les traduire et ce qui va ressortir, c’est l’énergie et l’intelligence d’un texte au-delà des mots. Ça va être intéressant à voir, je pense, car outre la compréhension logique, il y a une énergie chez les interprètes, une sensibilité qui fait qu’on peut comprendre.»

La liberté de la parole

C’est seulement avec une prémisse que la dramaturge Annick Lefebvre est venue vers Alexia Bürger en 2017 pour la création des Barbelés. Une pièce montée au célèbre théâtre national La Colline à Paris et qu’on retrouve à l’automne au Quat’Sous avec Marie-Ève Milot. Les enjeux de la création résonnent particulièrement à la suite de la polémique – parce que personne ne semble s’entendre – de l’affaire SLĀV. Plus qu’une résonance, peut-être même une réponse. «Une femme blanche privilégiée qui a le droit à la parole se questionne sur ce qu’elle deviendrait si elle ne l’avait plus, sur ce qui lui appartient véritablement et sur ce qui lui a été transmis malgré elle et ce qu’elle va transmettre. Il y a cette question de la transmission, mais aussi de la place qu’on prend lorsqu’on a l’espace pour s’exprimer.»

Le temps de la représentation, alors que des barbelés lui poussent dans le corps, l’urgence de la parole survient. «La création de ce spectacle tournait autour de ces questions: “Quand est-ce que je parle pour moi? Quand est-ce que je parle à la place des autres? Quand est-ce que les autres parlent à travers moi?”»

Actes de résistance

Alexia Bürger n’oublie pas qu’elle est aussi une femme et une mère, avec les batailles à mener dans un univers où la combinaison de ces éléments est un acte de résistance quotidien pour la metteure en scène. «Pour moi, c’est un travail de tous les jours, d’essayer de faire à ma manière et de ne pas rentrer dans les façons de faire qui ne m’appartiennent pas. Tout en ayant un enfant. Ce qui me trouble le plus, c’est l’aspect de la charge mentale. Quand tu as un poste un peu plus décisionnel, tenir le fort d’une création par exemple, la tête est déjà très pleine de ça. Les deux c’est énorme, c’est beaucoup, alors j’apprends.»

Alexia Bürger a certainement une parole bien à elle à défendre, ainsi qu’une vision critique du monde. On imagine aisément celle qui voit son univers comme un bateau à mener comme une capitaine ou une âme rassembleuse qui sait assembler les pièces d’un puzzle pour créer «un monde cohérent» autour d’un texte, d’acteurs ou d’une idée.

Les belles-sœurs polyphoniques
le 30 août
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui , dans le cadre de Dramaturgies en dialogue

Les barbelés
du 4 au 26 septembre
Au Quat’Sous