Chroniques d’un cœur vintage : Jane Austen habite Villeray
Émilie Bibeau, qu’on a souvent l’occasion de voir sur les planches ou au petit écran, s’est lancée dans l’écriture il y a quelques temps – suite à une rupture sentimentale douloureuse à ce qu’on devine. Dans ses chroniques d’autofiction, elle parle des humains (« les mammifères sentimentaux »), de ses sentiments, de ses amours qu’elle gère difficilement à cause de son « cœur vintage » un peu trop nostalgique et d’un autre temps.
La comédienne a présenté ses chroniques à l’émission Plus on est de fous, plus on lit!, à Ici Radio-Canada Première, puis lors d’un laboratoire public au Festival International de Littérature à l’automne dernier. Les textes ont ensuite fait leur chemin naturellement jusqu’à la scène, territoire de prédilection d’Émilie – qui jouait cet été l’épouse de Rostand dans Edmond, présenté au Théâtre du Nouveau Monde.
Écrire son texte ET le présenter seule en scène, deux premières fois – et elle s’en sort plutôt bien. Dans le jeu bien sûr, où cette comédienne chevronnée capte l’attention du public pendant toutes les 70 minutes de son solo, avec une lecture habitée de ses chroniques façon stand-up littéraire. On rit beaucoup, on est ému aussi. Un premier saut dans l’arène pour cette auteure, pas parfait, mais prometteur…
C’est Sophie Cadieux, amie proche depuis le Conservatoire national d’art dramatique, qui signe ici la (sobre) mise en scène. Ça commence côté jardin, au bureau, où Émilie Bibeau explique la genèse de son projet. Elle y met beaucoup de réserves – un peu trop? – comme pour excuser par avance sa prose débutante. Il faut pourtant saluer le courage nécessaire pour parler de soi et s’ouvrir dans une fiction qui repose presque intégralement sur sa vie personnelle.
Côté cour, devant un micro et sous un éclairage très théâtral, elle fait la lecture de ses textes. On regrette qu’elle ne lâche pas ses feuilles pour nous livrer une performance un peu plus jouée, différente de ce qu’on a pu entendre à la radio. Les cinq chroniques choisies s’alternent avec des transitions et des plages musicales, où Mike Brant côtoie The Zombies.
La culture d’Émilie Bibeau est aussi variée que ses choix musicaux : elle cite Schopenhauer ou Grey’s Anatomy, Flaubert ou ses amis… Mais elle se dévoile surtout comme une grande amateure de littérature et de philosophie, qui s’éclaire régulièrement des « mots des autres », comme Cioran, Barnes, Colette et Laferrière. Et si ses chroniques ont certes un petit côté adulescent et naïf, elles sont parfois traversées de superbes moments de poésie et d’émotion. On pense notamment au très beau passage proustien sur ses souvenirs d’enfance à Grenoble, avec le tableau de sa grand-mère équeutant des haricots.
Elle est aussi très drôle, cette Jane Austen, faisant régulièrement rire les spectateurs avec ses récits au style enlevé et moderne, façon Carrie Bradshaw au parc Jarry. Son amertume, c’est finalement celle de beaucoup de célibataires et de cœurs meurtris du XXIe siècle qui cherchent un sens à tout ça. Heureusement, l’humour et les parallèles avec les grands de la littérature ou de la philo mettent en relief des états d’âme qui auraient pu n’être que du déjà-entendu.
Si elle parle d’elle, Émilie Bibeau reste malgré tout pudique dans les évocations de ses sentiments, préférant l’anecdote drôle à l’épanchement amoureux. Mais on sent malgré tout poindre le spleen de ce cœur vintage… Un stand-up drôle et poétique qui donne en tout cas envie d’entendre la suite.
Chroniques d’un cœur vintage
Jusqu’au 22 septembre au Théâtre de La Licorne