Joël Pommerat : S'effacent les frontières
Scène

Joël Pommerat : S’effacent les frontières

Peut-on exister sans l’autre? C’est le fil conducteur de La réunification des deux Corées, qui amorce la saison 2018-2019 du théâtre La Bordée. Mise en scène par Michel Nadeau, l’œuvre magistrale de Joël Pommerat visite les multiples nuances de l’amour à travers la complexité des rapports humains.

Le thème est universel. Il peut sembler banal et usé, et pourrait presque passer sous le radar vu l’ampleur de la tempête médiatique qui a secoué le milieu théâtral cet été. Comme l’appropriation culturelle est sur toutes les lèvres, le public s’attendra forcément à du croustillant, à du rentre-dedans.

L’amour traité sous la loupe de Joël Pommerat n’en demeure pas moins mordant dans La réunification des deux Corées. C’est l’image de marque du célèbre dramaturge français: troubler le spectateur, le déstabiliser avec des instantanés profonds et saisissants. Se qualifiant d’«écrivain de spectacles», l’auteur et metteur en scène a fait le tour du globe avec une trentaine de pièces traduites en 40 langues. Son génie a été applaudi en sol québécois avec Les marchandsLa grande et fabuleuse histoire du commerce et Cendrillon, une fascinante réécriture du légendaire conte de fées présentée en 2016 à l’occasion du Carrefour international de théâtre.

De retour à La Bordée à la rentrée avec La réunification des deux Corées, Pommerat délègue cette fois-ci la mise en scène à Michel Nadeau. Une première pour celui qui a la particularité de monter lui-même ses textes. «C’est un peu tricky, car c’est un super metteur en scène, affirme Nadeau. Mais je m’en vais ailleurs. Mes acteurs sont bons, j’ai confiance en ce qu’on fait, ce ne sera pas la même théâtralité, mais y a quand même un stress. C’est une grosse pointure!»

Variations sur un même thème

Comportant une vingtaine de tableaux dramatiques, poétiques et humoristiques, la pièce fouille les entrailles du couple pour contester notre rapport à l’autre. «On est tellement des êtres de relation, qu’exister tout seul, c’est quasiment une question abstraite», souligne Michel Nadeau, qui tient aussi la barre de la direction artistique du théâtre La Bordée et enseigne au Conservatoire d’art dramatique de Québec. «En même temps, il faut être capable de se sentir exister soi-même pour être bien avec quelqu’un d’autre.»

Qu’elles soient amicales, amoureuses, adultères ou passagères, les relations tissent la trame du texte de Pommerat, écrit en 2013. La pièce porte sur l’amour, et sur cette sensation de vertige, de vide intérieur provoqué par le manque d’amour. «C’est surtout ça, dépeint Nadeau. Ça parle d’amour, mais surtout comment des êtres humains essaient de justifier leur existence à travers leurs rapports amoureux, de se sentir vivants, de se sentir “être”. Ça remet en question aussi notre capacité à nous sentir pleins tout seul.»

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Michel Nadeau, metteur en scène     photo : Vincent Champoux

Ces inquiétudes contemporaines touchent une poignée de gens, croit Nadeau. Ici comme ailleurs. «À travers tous les enjeux planétaires, il y a aussi une préoccupation sur nos rapports amoureux, nos rapports entre nous, le rapport à l’autre, les nouvelles familles, les nouveaux couples… C’est très répandu présentement. La pièce ne parle pas de tout ça, mais je trouve que ç’a une résonance dans la quête qu’on a de savoir qui on est, comment on se positionne par rapport à l’autre. Je trouve qu’il y a une pertinence sociale.»

S’allier pour prospérer

Michel Nadeau a foulé les planches d’une pléthore de salles de la Belle Province en tant que comédien, auteur ou metteur en scène, et ce, dans plus d’une centaine de productions théâtrales. Il a également coécrit Kanata, pièce passée au tordeur dans le sillage de SLĀV à l’été 2018, toutes deux annulées pour les raisons que l’on sait.

La réunification des deux Corées ne provoquera certes pas autant d’emportement. Il n’en demeure pas moins que la création de Joël Pommerat est d’actualité. À l’instar des deux Corées qui convergent vers une nouvelle ère de paix depuis avril dernier, les personnages de la pièce tentent de se définir à travers l’autre pour évoluer et, ainsi, instaurer en eux un climat de sérénité.

C’est la grande métaphore de la pièce, qui soulève également la notion d’altérité. «C’est quelque chose à plein de niveaux, dans le couple, mais aussi, c’est un questionnement, selon Nadeau. Il y a toute une rectitude politique qui s’empare de ça: qu’est-ce que j’ai le droit de faire, de ne pas faire? C’est le fun théâtralement, parce que là, c’est des acteurs qui jouent des personnages, c’est de la fiction. C’est le plaisir de la théâtralité, c’est le plaisir de voir quelqu’un se transformer. C’est la force du théâtre qui se révèle à travers cette pièce-là.»

Du 18 septembre au 13 octobre
au Théâtre La Bordée