Golgotha Picnic : Messe païenne
Avec Golgotha Picnic, Angela Konrad se frotte au dramaturge sud-américain Rodrigo García. La pièce, montée à Toulouse et à Paris en 2011, fut le théâtre de manifestations d’une droite religieuse qui la qualifiait de blasphématoire, alors que García s’intéressait à nul autre qu’au Christ. Si García a habitué le public à des propositions des plus graphiques, Konrad a, quant à elle, préféré entrer dans ce texte avec la plus grande sobriété. Explosant ce solo pour en créer une pièce à quatre voix, on sent un immense respect de la metteure en scène avec le texte de García, texte qui est, sans nul doute, l’essence même de cette proposition. Accompagné au piano tout au long de la représentation par David Jalbert, interprétant Les sept dernières paroles du Christ en croix de Haydn, Golgotha Picnic se présente comme une messe païenne célébrant chacune de nos contradictions.
Dans le but de donner du relief au texte de García, Konrad entoure son Christ, Samuel Côté, de trois anges, qu’on ne sait déchus ou non, en Sylvie Drapeau, Dominique Quesnel et Lise Roy. À mi-chemin entre Candide et Peer Gynt, ce fils de Dieu est ici tout sauf souverain, principalement parce que son autorité est toujours mise à mal par ces trois anges qui ne cessent de le talonner. Sans arc narratif clair, la pièce se déplie plutôt comme une multitude de réflexions qu’on aimerait qualifier de nécessaires, loin de la morale, le texte n’étant pas sans humour! Servi d’une mise en scène très sobre usant que de quelques bean bags et d’un continent de plastique en avant-scène, Konrad travaille sur plusieurs arrêts sur image durant la pièce qui ne sont pas sans rappeler diverse représentation du Christ tirée des peintures, créant ainsi de parfaits interstices musicaux où s’immisce le pianiste David Jalbert avec brio.
À mi-chemin entre le récital et la pièce de théâtre, Golgotha Picnic fascine par la puissance du texte de García – on s’en veut de ne pas en avoir gribouillé plusieurs extraits dans le calepin – qui est merveilleusement portée par le trio d’actrices. Effectivement Roy, Quesnel et Drapeau sont parfaitement suspectes dans leur jeu, ne sachant jamais réellement lequel des douze apôtres ses anges préféreraient, bien que leur malice nous laisse croire qu’il s’agirait peut-être d’Iscariote.
Au final, ce pique-nique au sommet du mont Golgotha auquel nous convie Konrad a évidemment des allures de «dernier apéro d’une humanité à la dérive», comme elle nous l’annonce dans le programme, et les trois crucifiés qui nous font de l’ombre ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. Car si l’adaptation est d’une belle sobriété, la pièce ne manque pas de mordant. García n’hésite à aucun moment à tirer sur tout ce qui bouge, mettant à mal nos apories contemporaines dans lesquelles on se vautre trop souvent. Dépouillée, mais terriblement efficace, Golgotha Picnic est l’une des plus intéressantes propositions de l’hyperactive créatrice qu’est Angela Konrad. À ne pas manquer.
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