Nicky Roy : Une pluie de perséides
Scène

Nicky Roy : Une pluie de perséides

Disparue avant l’éclosion d’internet, à la fois méconnue et célébrée, Nicky Roy refait surface chaque printemps pour auréoler une actrice ou un acteur de la relève. Un nom qui résonne fort, dont on se pare, un synonyme d’excellence absolue. Mais qui était donc cette femme de théâtre partie (beaucoup) trop tôt?

Une photo, vieille photo, de sa jeunesse. Au centre des folies, des grimaces, Nicky Roy fixe l’objectif d’un regard vif. L’expression d’une force de caractère inouïe, d’une confiance presque inébranlable, confirme Jacques Lessard, qui lui a enseigné le mouvement au Conservatoire d’art dramatique de Québec. C’est d’ailleurs dans ce contexte, à l’occasion de la présentation d’une pièce scolaire, que quelqu’un a empoigné la caméra. «C’était une fille déterminée. Elle était débrouillarde, mais aussi tellement empathique. Elle avait beaucoup d’empathie pour les gens. Elle aimait le monde. C’est pour ça que c’était une perte. Le milieu n’était pas très grand à cette époque-là, plus petit encore qu’aujourd’hui.»

Photo du Conservatoire d'art dramatique de Québec (Courtoisie: Jacques Lessard)
Photo du Conservatoire d’art dramatique de Québec (Courtoisie: Jacques Lessard)

Sa grande amie Manon Vallée l’a connue à la même époque; elle était de la cohorte à ses trousses. Elle se souvient d’une demoiselle charismatique, d’une beauté rare, des yeux verts qui vous transpercent, laissant à voir un pan de son âme. «On tombait en amour avec Nicky, elle avait un sourire craquant, elle avait un rire… Tu riais quand elle riait! Elle avait beaucoup d’entregent même si elle avait son franc-parler et tout ça. Elle était franche, directe, honnête. Elle était très vivante, extrêmement vivante.» Bousculée par son intuition, peut-être, ses funestes pressentiments, elle aura accompli tant de choses avant d’être arrachée à ce monde comme par erreur, contre le cours normal des choses. «Nicky était pressée. On en parlait après sa mort. On aurait dit qu’elle savait qu’elle n’allait jamais devenir vieille.»

Sa carrière aura duré cinq ans. Plus qu’une comédienne, elle se sera coiffée du chapeau de metteure en scène, elle fera office de bâtisseuse. Sa fougue, pour citer M. Lessard, déteindra sur la pratique des autres. «Elle n’a pas été là assez longtemps, mais moi, je sais qu’elle a eu une influence sur tous les gens de sa classe, tous ceux qui ont fondé la Bordée. Pierrette Robitaille, Germain Houde, Ginette Guay, Jean-Jacqui Boutet, Jacques Girard. […] C’est davantage dans son énergie [qu’elle aura inspiré les autres]. Elle avait peut-être une esthétique, moi je pense qu’elle en avait une, en fait, mais elle n’a pas eu le temps de l’imposer ni de la développer.» Une attirance certaine pour la commedia dell’arte, un goût qui s’est notamment exprimé par l’entremise d’accessoires, mais aussi dans le développement des personnages, les déplacements. «Elle était très vive et la commedia dell’arte, c’est vraiment la vivacité de la réaction et la vérité des réactions un peu grossies. Elle était comme ça, elle. T’sais, des gens qui pétillent. Tout à coup, ça sortait spontanément. C’était une fille extrêmement spontanée et elle aimait tellement rire! C’était comme être toujours en présence d’un petit feu d’artifice. C’était plaisant d’être avec elle.»

 

Le cœur à l’ouvrage

Nicky Roy préconisait une approche DIY, pour reprendre l’anglicisme d’usage commun d’aujourd’hui, elle faisait pratiquement tout elle même. Sa scénographie, ses éclairages, ses costumes… alouette! Dans le 16e numéro de Jeu publié en février 1980, soit quelques mois seulement avant son départ, on la qualifie d’impétueuse, d’expressive. Manon, elle, en parle avec des points d’exclamation dans la voix, incrédule de voir revivre ses souvenirs depuis longtemps remisés. «C’est un Bélier, Nicky, de signe astrologique, et elle portait bien ses cornes, dans le sens que c’était une fonceuse. Elle créait toutes sortes d’affaires comme ce fameux show qu’on a fait ensemble: Péchépolis. À ce moment-là, elle vivait avec un professeur de littérature, André Simard, son chum. Il avait écrit un texte sur le bien et le mal et on en avait fait une pièce de théâtre. […] C’était extrêmement flyé pour l’époque!»

courtoisie-jocelyne-roy-1
Courtoisie Jocelyne Roy

Talons hauts, bas résille, corsets étincelants… Péchépolis racontait l’histoire d’un saint qui, si la mémoire de Mme Vallée est bonne, croisait le chemin d’une prostituée. Un spectacle multidisciplinaire éclaté, quelque chose comme une comédie musicale, une production inclassable qui devait initialement être présentée Chez Gérard, établissement mythique qui, en fin de compte, sera la proie des flammes juste avant le début des représentations. La troupe aura finalement élu domicile dans un bar de la rue Saint-Jean. «C’était à l’étage, au bout d’un grand escalier. On avait fait ça avec des éclairages disco. C’était complètement fou notre affaire. On s’était fait des costumes avec des paillettes, des bottes, des sous-vêtements de l’époque. C’était vraiment quelque chose! On avait écrit les chansons. On avait fabriqué des masques, mais je les ai jetés après les avoir gardés longtemps. Tous les gens avec qui j’ai travaillé sur ces masques-là sont morts. Je n’étais plus capable de traîner ça.»

Le règne de Nicky Roy s’inscrit dans le bouillonnement propre à la seconde moitié des années 1970, l’époque par excellence pour être jeune s’il ne fallait qu’en choisir une, les derniers instants d’innocence. Une période faste, économiquement parlant, dont ses protagonistes parlent en évoquant l’esprit d’équipe, la coopération, mais aussi les vapeurs de la Révolution tranquille qui nous enivrent encore. Une libération sexuelle assombrie par un mal invisible dont Manon et ses amis apprendront le nom au tournant de la décennie. Le VIH, le sida.

courtoisie-jocelyne-roy
Courtoisie Jocelyne Roy

Des deux côtés du spectre, tant celui du péché ou du vice que du théâtre jeune public, la polyvalente créatrice avait rapidement fait sa place. Elle vivait de son art. Il lui arrivait même de chanter aux côtés de son ami Aimé Chartier, un pionnier de la drag à Québec, un professeur de danse sociale avec qui elle avait accouché d’un récital reprenant les codes du cabaret. C’est entre ce tour de chant fantaisiste et une pièce pour enfants, entre la nuit et le jour, Rimouski et Québec, qu’elle sera finalement emportée dans un terrible accident de voiture. Un fin si violente pour une fille empreinte de légèreté, ce doux visage qu’on aurait forcément vu, la force des rêves aidant, sur les écrans de cinéma. Nicky n’avait que 25 ans et toute la vie devant elle.

PRIX NICKY-ROY

Le prix Nicky-Roy est, en quelque sorte, l’équivalent local et théâtral du titre «Révélation de l’année». Charles-Étienne Beaulne l’a remporté, idem pour Évelyne Rompré, Christian Michaud, Jean-Michel Déry et Benoît Gouin. La dernière lauréate en date? Ariane Bellavance-Fafard, vibrante dans Une bête sur la lune. Trois finalistes sont choisis chaque année. À l’aube de la saison 2018-2019, quels jeunes acteurs pourraient donc former ce trio de nommés, prétendre à la victoire? On s’est prêté au jeu des pronostics.

Sarah Villeneuve-Desjardins
Profonde, complexe, constante. Sa Jeanne dans Incendies de Wajdi Mouawad en a impressionné plus d’un. Sur une lancée, liée à Nancy Bernier du Théâtre de la Roche à Veillon pendant tout l’été, Sarah Villeneuve-Desjardins donnera bientôt la réplique à Jack Robitaille dans The Dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay à La Bordée.

Vincent Roy
On l’a vu dans Made in Beautiful de son ami Olivier Arteau et arborant l’un des plus fantasques costumes d’Élène Pearson dans Où tu vas quand tu dors en marchant…?, mais jamais n’aura-t-il été aussi présent que cette saison. Et il sera presque partout: de la prochaine création de Fabien Cloutier (Bonne retraite Jocelyne), d’Antigone au Trident, de Foreman au Périscope.

Lauren Hartley
Elle nous a émus au printemps dernier et sous les traits de Claire dans Lucky Lady de Jean-Marc Dalpé. 2019 pourrait fort bien être son année, alors qu’elle l’entame avec Bonne retraite Jocelyne et qu’elle la poursuivra avec son propre texte (Embargo) qu’elle livrera sur la scène de Premier Acte en avril.