Fabien Piché : Le porte-drapeau
Il était une fois, dans le Bas-du-Fleuve, quelque part au milieu des années 1980, une femme qui, la veille du jour où elle apprend qu’elle est enceinte, remporte la première place d’un danse-o-thon. Cette femme, c’est la mère de Fabien. Dès lors, bien qu’elle l’ignore, le sort de son petit est scellé.
Cette histoire a tout d’une fable. Ce sont de ces présages, de ces hasards, que sont faits les contes. «Petit, confie Fabien Piché, je dansais tout le temps. Il fallait que mes parents m’arrachent aux pistes de danse des discos mobiles. J’avais, genre, 6 ou 7 ans et je voulais pas m’arrêter de danser.» On s’offrirait l’analogie d’Obélix, celle de la potion magique, n’eût été la ville qui l’a vu grandir. À Trois-Pistoles, à cette époque, personne n’enseignait encore le ballet jazz ou classique. Sa passion, Fabien a dû la contenir. C’est seulement à l’âge adulte qu’il pourrait s’y plonger, assoiffé sans doute, lui qui n’avait pas su canaliser son surplus d’énergie par l’entremise d’un ballon ou d’une raquette. Ses aptitudes athlétiques étaient restées emballées sous vide. «J’ai jamais réussi à trouver un sport qui me plaisait tant que ça, un sport dans lequel je me reconnaissais. Je dois quand même dire que ce qui me plaît le plus en danse, c’est l’aspect non compétitif. Tout le monde est là pour développer un projet qui nous dépasse individuellement.»
Après l’année préparatoire d’usage, rattrapage technique oblige, le Bas-Laurentien entreprend sa formation à L’École de danse de Québec. Il en sera diplômé en 2010. Depuis, l’interprète a donné corps aux idées de Karine Ledoyen, d’Harold Rhéaume, d’Alan Lake. Fabien Piché est un visage familier pour quiconque se tient au parfum de l’offre chorégraphique du 418. Il arrive même que son halo irradie par-delà l’autoroute 20, que son nom résonne jusqu’en Ontario. En 2016, à Toronto, il remportera le prix Dora Mavor Moore de la «meilleure performance masculine» pour son apport à Waiting for a Sleepless Night de Lina Cruz. C’est dire que le pays tout entier aurait des vues sur lui.
N’empêche, la coqueluche des chorégraphes se terre dans la modestie. Fabien, c’est un gars de gang, un artiste profondément ancré dans la communauté tissée serré des amis de La Maison pour la danse, un type qui rougit à la vue des fleurs, ces bouquets de compliments que lui tendent ses pairs, des grands frères comme Paul-André Fortier, homme de danse immense et créateur d’un solo à sa mesure. Un spectacle confectionné à l’hiver 2018 et attendu de pied ferme. «C’est un danseur très charismatique, c’est quelqu’un qui, comment dire… C’est pas quelqu’un qui est dans la représentation, surtout pas dans la représentation de lui-même. Il aborde la danse avec cette espèce d’humilité, de discrétion qui est pas du tout jouée. C’est sa nature. […] Il y a beaucoup d’interprètes qui sont dans une image d’eux-mêmes ou une image de la danse. Lui, il est la danse elle-même.»
Que perle la sueur
On reconnaît Fabien Piché à sa gestuelle tonique, modelée par la notion de dépassement de soi. Dans Running Piece de Jacques Poulin-Denis, il est amené à persister dans l’épuisement alors qu’il se livre aux mouvements répétés d’un tapis roulant en tout point semblable à ceux qui meublent les centres de conditionnement physique. Un contrat ardu et grisant à la fois, un flambeau qu’il est allé chercher des mains de Manuel Rocque. «De grandes pointures à chausser, pour reprendre ses mots. La préparation sort du cadre habituel, je trouve, des autres spectacles. C’est un défi, c’est vraiment ça. J’ai commencé à courir en dehors du travail en studio pour justement habituer mes articulations, mon cardio. […] J’ai instauré une petite routine de course dans mon entraînement et je trouve ça le fun parce que c’est la première fois qu’un projet me demande de faire ça.»
C’est une de ses photos, de lui, de cette production, qui illustre la brochure de la saison 2018-2019 de La Rotonde. Fabien Piché ne connaît ni le chômage ni la hantise du téléphone qui se refuse à sonner. L’ouvrage ne vient jamais à manquer. Tellement, en fait, que son travail chorégraphique ne se matérialise que dans de rares accalmies. L’eau dort et il faut s’en méfier, comme le dit l’adage. Elle bout sous des nappes phréatiques.
Running Piece
Les 17, 18 et 19 octobre
à la Salle Multi de Méduse
(Une présentation de La Rotonde)