Vincent-Guillaume Otis : Fréquenter les classiques
Scène

Vincent-Guillaume Otis : Fréquenter les classiques

Rares sont ceux n’ayant pas déjà versé une larme à la fin de Des souris et des hommes. Que ce soit à la fin du roman de John Steinbeck, ou du téléfilm de Paul Blouin en 1971 mettant en vedette Hubert Loiselle et Jacques Godin, ou encore de l’adaptation américaine de Gary Sinise avec John Malkovich dans le rôle de Lennie. Il va sans dire, le livre de Steinbeck en a fait du chemin depuis sa parution en 1937. Relatant l’histoire somme toute banale de deux saisonniers errant de ranch en ranch dans la Californie de l’époque, ce chef-d’œuvre fait désormais partie de ces classiques qui ne semblent perdre rien de leurs actualités.

Monstre sacré s’il en est un, le tout n’a pas empêché le théâtre Jean-Duceppe d’en proposer une relecture cet automne, mettant en vedette Guillaume Cyr et Benoît McGinnis et mise en scène par Vincent-Guillaume Otis. C’est à lui que revient la tâche de diriger cette relecture, de mener ce projet à bon port. Entretien avec celui qui renoue avec la mise en scène près de dix ans après Ceux que l’on porte présenté à l’Espace Go.

Retour aux sources

Programmé au cœur de cette saison sous le signe du renouveau au Duceppe, le projet Des souris et des hommes tient pourtant racine bien avant ce grand changement à la direction du théâtre de la Place des Arts. «Je travaillais à l’époque sur Ils étaient tous mes fils, pièce dans laquelle Michel Dumont avait un rôle, et je l’ai entendu dire qu’il avait en tête de remonter Des souris et des hommes. C’est une œuvre qui m’a toujours plu, qui m’a toujours parlé, et à ce moment-là je me rends compte que j’avais peut-être 15 secondes pour faire un move. J’étais dans la même loge que Benoît McGinnis et je lui demande si c’est quelque chose qui lui plairait. Quelques minutes plus tard, je suis allé voir Michel et nous voilà ici.»

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Si les raisons d’être fasciné par ce texte de Steinbeck peuvent sembler multiples, Otis souligne qu’il faut outrepasser les clichés entourant la pièce pour trouver le moteur et la pertinence d’en faire une proposition éclairante. «Je pourrais dire que c’est une œuvre qui est rendue mythique, dont les personnages sont des archétypes théâtraux, que c’est une métaphore sur l’échec du rêve américain. Mais c’est surtout une histoire puissante et magnifique. Il y a une implacabilité dans ce texte-là qui en fait une foutue bonne pièce. Et il ne faut pas oublier que Steinbeck ne fige aucune morale. Ce qui en ressort est très fort, il nous laisse avec le sort de décider ce qui est juste ou non.»

Et c’est justement dans un respect de cette histoire «puissante et magnifique» que l’équipe a décidé de traduire ce texte sans rien adapter à l’air du temps. «On a décidé de partir du texte original et de faire notre propre traduction de l’œuvre. On s’est posé beaucoup de questions, dont celle de l’actualisation du texte. Ça aurait été facile de placer ça en Californie, aujourd’hui, dans les champs avec des travailleurs mexicains et ça aurait fonctionné. Mais on avait l’impression de perdre quelque chose, de perdre l’essentiel en jetant un point de vue sur une œuvre qui a justement la qualité de ne pas être figée.»

Les pièges

Pour quiconque met en scène, l’immensité de la scène du Duceppe, aussi fertile et créatrice puisse-telle paraître, peut être bourrée de pièges. Avoir les moyens de faire grand et de faire beaucoup peut être tout aussi grisant qu’inquiétant et Vincent-Guillaume Otis le sait très bien. «Avec une mise en scène comme celle-là, à grand déploiement, le danger c’est de se perdre. Tant dans le travail avec les acteurs que dans celui de la scénographie ou avec les concepteurs, j’essaie de toujours revenir au texte. Ça permet d’éviter de se perdre avec un artifice de mise en scène.»

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N’en demeure pas moins qu’on se dit qu’il y a là la possibilité de récréer le côté incommensurable de la Californie de l’époque, de jouer sur ces effets de grandeurs qui semblent tant coller au texte, mais encore là, Otis semble savoir exactement où il veut aller: «On a cette image-là – qui nous vient probablement du film -, d’un texte aux accents bucoliques, de vastitude, mais quand tu lis le roman, tout se passe essentiellement à l’intérieur. On est enfermé, et les seules indications de lumière viennent des personnages qui nous parlent dehors. Le défi est donc de créer un plateau qui va refermer l’espace sur les acteurs, et ce, sur la grande scène qu’est celle du théâtre Jean-Duceppe. Au même moment, la grandeur de la scène nous permet de montrer cette liberté inaccessible à laquelle les personnages aspirent tous.»

À plusieurs reprises le metteur en scène souligne à quel point il est bien entouré dans ce projet, et ce à tous les niveaux. C’était pour lui essentiel de porter cette proposition en groupe et que le plateau avance tel un seul homme vers cette réalisation. «Je ne suis pas un metteur en scène dictateur. Je crois que j’ai l’humilité de savoir qu’il y a plusieurs choses que j’ignore. Je n’ai pas l’expérience d’un Claude Poissant, d’un Martin Faucher, d’un René-Richard Cyr ou d’un Denis Marleau, mais je suis à l’écoute. Je suis vraiment bien entouré et on va avancer dans le projet avec cette collégialité-là. Et ç’a été le mot d’ordre avec tout le monde, c’est-à-dire d’aborder cette œuvre avec humilité. Tu ne peux pas essayer de prendre le dessus, on doit savoir qu’elle est beaucoup plus forte que nous.»

Reste que plusieurs monstres entourent cette pièce, que ce soit son écrivain lui-même ou encore les différentes interprétations qui ont à plusieurs reprises marqué le public, qu’on pense à John Malkovich ou à Jacques Godin. Monter Des souris et des hommes, c’est aussi se frotter à cet imaginaire collectif fort. «Ces monstres-là, on ne doit pas essayer de les combattre. Ces Godin et Malkovich, on ne doit pas non plus tenter de les surpasser, mais si on n’y touche pas durant le travail, ils vont tout de même nous nourrir dans cet espèce d’inconscient collectif d’acteur et il faut se laisser pousser par ça.» Avec des acteurs de la trempe de Benoit McGinnis et Guillaume Cyr, on peut croire que Vincent-Guillaume Otis et son équipe seront en mesure de nous épater livrant un texte qui franchit les époques sans prendre une ride.

Du 24 octobre au 1er décembre chez Duceppe