Beef : Petit manifeste contre la masculinité toxique
Ils ont des gros bras et mangent de la viande rouge, ils reluquent les femmes comme des morceaux de steak. Les hommes, les vrais, n’écrivent pas de poèmes. C’est à eux que Dayne Simard dédie son Beef, une pièce qui fait l’autopsie des diktats bizarres que s’imposent les mâles alpha.
On a indiscutablement affaire à un contemporain de Fabien Cloutier. Dayne Simard partage avec lui une appartenance à la Beauce (nous y reviendrons) et une envie de dépeindre le Québec sous ses multiples facettes, sans filtre. Ils donnent tous deux une voix à ceux qui n’en ont souvent même pas. Ils montrent, c’est tout, sans porter de jugement.
Beef pourrait, d’emblée, se résumer à un Roméo et Juliette agricole, mais des temps relativement modernes. Simard s’est inspiré de son village d’enfance, de St-Elzéar-de-Beauce, pour pondre cette histoire en tout point réaliste et surtout terriblement truculente. “Il y a de la fiction, aussi, là-dedans. Je me suis amusé à prendre des petites histoires et à en fait de quoi d’énorme.”
Le personnage qu’il s’est écrit constitue, en quelque sorte, son alter ego. Michel, est un artiste qui vit à la campagne, qui ploie sous le poids des préjugés qu’on entretient à son égard. L’auteur, qui a lui-même grandi sur une ferme, a puisé dans ses souvenirs très intimes pour, finalement, pondre une myriade de répliques presque universelles.
Si Dayne a découvert le théâtre, c’est d’abord parce qu’il s’était inscrit dans la troupe parascolaire pour se rapprocher de son kick, d’une fille. Une excuse de choix qui l’exemptait d’insultes. “Je me souviens au secondaire, quand je jouais au foot, il y avait des jeunes, des amis de mon âge qui me posaient cette question-là: “T’as pas peur d’avoir l’air fif à faire du théâtre?” […] Ça parle pas juste d’orientation sexuelle. Pour moi, être fif, ça voulait seulement dire que t’étais différent.”
Le dramaturge aurait pu, comme tant d’autres, renier sa vraie nature, se refuser à sa passion par peur d’être mis à l’écart. S’il avait vraiment voulu entrer dans le moule, il nous aurait forcément privés de son talent. “Bien sûr, j’ai eu envie de parler de masculinité, mais ça parle beaucoup de nos préconceptions genrées et ça, c’est pas seulement masculin, c’est féminin aussi. C’est pour ça que j’ai cherché à ce que mes personnages féminins soient vraiment forts et inspirants. T’sais, t’as la mère qui sacre des volées et qui est d’accord avec ce système [macho]-là. Puis il y a sa fille, Manon, qui, elle, est consciente que ça n’a pas de bon sens et qui étouffe là-dedans.” Une jeune femme délurée incarnée par Nathalie Séguin qui se révoltera et tiendra tête aux hommes par pur écœurement.
David Bouchard, lui, joue le rôle du voisin, un gros dur au coeur tout mou. Les apparences, dans Beef comme ailleurs, sont souvent trompeuses. “Moi, je le vois vraiment comme un gars qui est dans la répression de ce qu’il ressent et pense vraiment, confie l’acteur. C’est comme s’il doute toujours de lui-même. Il incarne le paroxysme du manque de confiance en soi et donc, à un moment donné, c’est sûr qu’il a l’air d’avoir des problèmes d’aptitudes sociales.”
Une crotte sur le coeur
Beef traite aussi de polarisation, du fossé qui se creuse de part et d’autre de l’échiquier politique. Plus que jamais, les gens sont divisés. “J’ai ben de la misère avec ceux qui affirment constamment en étant trop sûrs d’eux, admet Dayne. T’sais, Manon, elle fait le contrepoids, je trouve. Elle ouvre le dialogue. Sa mère a des opinions tellement tranchées! Il y a une haine [dans le spectacle], une violence, mais beaucoup de dialogues de sourds, surtout.”
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Avec son humour noir et ses répliques punchées dans une langue chantante qui nous rappelle celle de Dalpé, la première création du Beauceron d’origine véhicule une pléiade de messages chers à son coeur. L’homophobie passe au bat, le slutshaming aussi. Par la bande, Dayne Simard se sert aussi de sa tribune pour revaloriser le travail des agriculteurs, de ses parents. Un métier follement exigeant qui force l’admiration.
Son respect à l’égard des habitants de la campagne est total, non questionnable. “Je suis convaincu que [cette histoire] pourrait se passer en ville. J’ai identifié la région parce que, moi, mes racines sont là. Et puis, après, Michel, un citadin à la base, débarque là-bas avec son lot de préjugés sur l’endroit. Je ne voulais pas incarner un héros sans nuance, sans défaut.”
Avec Beef, Dayne Simard force une rare rencontre entre des êtres qui, bien souvent, s’observent et se jugent de loin. Il réconcilie les deux (vraies) solitudes québécoises.
Du 22 janvier au 9 février
À Premier Acte