Coriolan : Comme au cinéma
Forte d’une excellente rumeur en provenance du festival de Stratford, la nouvelle pièce de Robert Lepage prend d’assaut les planches du Théâtre du Nouveau Monde après sa création en Ontario l’été dernier. Avec près d’une vingtaine d’interprètes, la distribution de Coriolan impressionne (Alexandre Goyette, Anne-Marie Cadieux, Rémy Girard et Louise Bombardier, pour ne nommer que ceux-là). C’est la troisième fois que Lepage monte ce classique de Shakespeare, mettant en scène Caius Marcius (Alexandre Goyette), soldat aristocrate qui, pour les uns, devrait diriger Rome, et pour les autres, en être banni pour sa haine de la plèbe. Trahison, dilemme, vengeance et meurtre, Coriolan se présente à nous comme un Shakespeare pur jus.
La pièce de Lepage se déplie dans une Rome antique hors du temps, où les ordinateurs et les équipements militaires d’aujourd’hui font avancer une histoire datant de plus de deux millénaires. Proposant la projection d’un générique d’ouverture, il semble que rarement le créateur ait autant assumé ses accointances cinématographiques, mais force est de constater que ce Coriolan en est presque une ode tellement les projections et les jeux de cadrages sont omniprésents dans la proposition. Divisée en cinq actes, la pièce montre un Caius Marcius, dit Coriolan, tantôt sauveur de Rome, tantôt ennemi de la cité. Dans une relation quasi œdipienne avec sa mère Volumnia (Anne-Marie Cadieux), le militaire désirera toujours la satisfaire, tentant même d’oublier sa nature propre pour amadouer le peuple – le tout aidé par Ménénius (Rémy Girard) et Comunius (Widemir Normil). Cette carrière politique ne durera qu’un instant, car condamné à l’exil, c’est au côté de son ennemi de toujours, Aufidius (Reda Guerinik), qu’il reviendra marcher sur Rome, promettant de la mettre à feu et à sang.
Le choix de l’époque aurait pu être intéressant, Lepage mentionnant que jamais «cette bête aux mille têtes» qu’est le peuple ne fut si bien représentée qu’au 21e siècle, à l’ère des réseaux sociaux et de l’hyperconnectivité. Reste que la proposition est de facture très classique et que ces indicatifs temporels viennent beaucoup plus servir la forme (cellulaire, ascenseur, voiture, etc.) que le fond. C’est peut-être bien là que le bât blesse: on demeure avec cette impression que le texte de Shakespeare sert la mise en scène et non l’inverse. On reste ébaubi durant la première partie devant l’ingéniosité et l’inventivité de Lepage qui démontre un savoir-faire hors du commun, voire même exceptionnel. N’empêche que le rapport de force entre le fond et la forme semble inversé. Malgré des prestations notables d’Alexandre Goyette et de Reda Guerinik, jamais on ne propose une lecture soit personnelle ou nouvelle des nombreux sous-textes que présente la pièce. On sort du théâtre diverti et fasciné, mais très peu grandi.