ColoniséEs : Les visages du Québec
C’est au tour d’Annick Lefebvre de rendre hommage au couple Gérald Godin et Pauline Julien avec ColoniséEs, pièce présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Un portrait de leur engagement politique, de leur amour et des révoltes qu’ils ont laissées dans leur sillage.
Construite sous la forme de monologues vivants que se partagent Maude Demers-Rivard, Myriam Fournier, Charles-Aubey Houde, Macha Limonchik, Benoit McGinnis, Sébastien Rajotte, Zoé Tremblay-Bianco, ColoniséEs est un petit cours d’histoire du Québec condensé. Une sorte de piqure de rappel ou un devoir de mémoire selon la génération de celui qui regarde.
C’est un portrait de son militantisme à travers les petites histoires intimes et anonymes et les grandes, moins anonymes. Autour du personnage fictif d’une jeune militante de la grève étudiante de 2012, qui a perdu foi et ferveur, gravite l’histoire de Pauline Julien et de Gérald Godin, de leur rencontre jusqu’à leur mort. Le récit individuel – et en même temps si universel – de cette jeune serveuse est celui de bien d’autres qui se sont levés le lendemain de ce mouvement, avec le cœur brisé et des traumatismes indéniables.
Dans les souvenirs de Julien et de Godin, le contexte politique du Québec rêvé, mille fois perdu, se relate: le mouvement souverainiste des années 1960, la Crise d’octobre de 1970, le FLQ ou les deux référendums.
Ils font certes partie de l’histoire collective, mais existent également en dehors d’elle et Annick Lefebvre nous donne à voir comment ces deux lignes parallèles de leur vie se conjuguent ensemble. Entre ce que l’histoire dit et ce qu’«eux» disent. Dans toute leur imperfection d’humains et leurs incertitudes. Mais il y a toujours leur désir farouche en amour comme dans leur engagement social. Ce désir dont parle peut-être Catherine Dorion dans Les luttes fécondes.
Il s’agit d’un exercice de mémoire et d’espoir qui prend aux tripes grâce, entre autres, à l’écriture de Lefebvre. Une écriture franche et directe qui ne donne le temps à quiconque de se remettre de ses émotions. Un flot de paroles qui arrive par vagues. ColoniséEs nous parle d’un Québec entêté et de la façon dont les révoltes en nourrissent d’autres, comment les défaites construisent nos trajectoires et notre résilience.
Le Québec de ColoniséEs n’est pas défait, même si la pièce se concentre plus particulièrement sur des moments sombres. Même qu’il est radieux, porté par les sept comédiens dans une sorte de célébration et de transmission. ColoniséEs est une pièce intelligemment construite et dotée d’une sorte de candeur dont on se demande d’où elle peut bien venir.