Famille, je vous hais
La Fête à Sophie et Les Coleman-Millaire-Fortin-Campbell, deux pièces qui jouent actuellement dans les petites salles du Prospero et du Théâtre Denise-Pelletier. Deux pièces qui se rejoignent avec leurs jeunes distributions issues de la relève, avec leurs textes forts et leurs émotions poignantes. Deux tragédies familiales et contemporaines.
La Fête à Sophie n’a de festif que le nom. C’est un beau texte vivant et brut, qui raconte l’histoire d’une famille monoparentale pauvre. L’auteur Serge Mandeville en avait proposé une mise en lecture publique lors de Dramaturgie en dialogue en 2015. Il y a au centre Sophie, la petite dernière qui va fêter ses 15 ans, une surdouée qui gère sa mère rendue amorphe par les pilules. Il y a aussi le tabou autour du suicide de l’aînée, Cassandre, et la rupture entre une mère et sa fille, quand on est arrivé au bout des possibilités de la relation.
Mandeville aborde le sujet du suicide de front, de façon poignante et percutante, mais nécessaire aussi. C’est lui aussi qui signe la mise en scène, très sobre et dépouillée et qui met en avant les acteurs et leur présence scénique. On souligne au passage la force du jeu de la jeune Simone Latour Bellavance (Sophie), sortie en 2018 du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, tout en fraîcheur et à fleur de peau. Et puis il y a la versatilité de Marie-Ève Bertrand, qui incarne sa mère tantôt tant le passé, dynamique et active, tantôt dans le présent, triste et vide, et de Frédérick Tremblay dans les rôles de deux frères jumeaux aux antipodes.
Les personnages sont bien incarnés mais jamais dans le stéréotype, et l’histoire fourmille de détails et de rebondissements, accrochant le spectateur jusqu’au bout. Dans cette mise en scène joliment pensée, Sophie brise allègrement le quatrième mur lors d’apartés au public, qui rende le suspense d’autant plus glaçant, et emmène le public dans des aller-retours dans le temps. Jusqu’à cette fameuse fête… À voir, vraiment.
[vimeo]305771765[/vimeo]
Chez les Coleman-Millaire-Fortin-Campbell, comme le nom l’indique, il y a du monde. Et si toutes les familles sont dysfonctionnelles, celle-là l’est particulièrement. Quatre enfants de deux pères, cinq si on compte la mère dont l’immaturité la rend incapable de gérer sa famille, et la grand-mère qui veille depuis son fauteuil. Cette pièce de l’Argentin Claudio Tolcachir met en scène une réalité sociale dans son pays : avec la crise économique, de plus en plus de familles se sont vues forcées de cohabiter entre plusieurs générations. La comédienne Catherine Beauchemin a traduit son texte, pour l’emmener au Québec.
Dans la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier, le public entoure la scène sur trois côtés. La pièce commence d’emblée dans l’humour et dans le chahut, en plein cœur de cette maisonnée bruyante et mouvementée. C’est qu’entre Loulou la mère un peu fofolle, son fils Mario qui a un problème mental, son autre fils qui a un problème de consommation, sa fille Véronique qui a honte de sa famille et la voit le moins possible, on est loin d’être au calme. C’est presque trop bruyant au début, avec les répliques qui se superposent et se coupent.
C’est plus léger aussi et l’humour est bien présent. Une légèreté qui ne cache cependant pas la réalité sociale et l’étouffement que chacun vit dans cette famille. Puis le séjour de la grand-mère à l’hôpital va faire basculer leur quotidien – ce que la scénographie prend au sens propre, faisant violemment basculer un mur pour changer de décor. Le ton humoristique prend une tournure plus dramatique, le non-dit et le chantage tiraille chaque membre de la famille entre ses désirs propres, son sens du devoir et ses sentiments, quand il en reste, pour les autres membres du clan. Parce qu’une famille nous accompagne toute la vie ; pour le meilleur et le pire.
La Fête à Sophie
au Théâtre Prospero jusqu’au 9 février
Les Coleman-Millaire-Fortin-Campbell
au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 9 février