Blackbird : Zones grises
Scène

Blackbird : Zones grises

Elle a 12 ans. Il en a 40. Amoureux? Victime et bourreau? Avec la pièce Blackbird, le théâtre Premier Acte nous plonge dans les zones d’ombre d’une relation interdite, traversée par le doute.

À la lecture du synopsis, on oscille entre surprise et dégoût. Pourtant, avec son texte d’une intelligence fine, inspiré d’un véritable fait divers, le dramaturge écossais David Harrower réussit à semer le doute. «Ce qu’on aimait de ce spectacle, c’est qu’il aborde un sujet épineux, sans prendre position», explique Gabrielle Ferron, qui joue l’ado devenue femme, Una. «C’est au public d’avoir son opinion sur le sujet à la fin de la pièce. J’avais envie de jouer ça.»

L’action place les deux protagonistes face à face dans un huis clos, 15 ans après les faits. Una a vieilli. Elle a retracé Ray (joué par Réjean Vallée), qui porte maintenant un autre nom, vit dans une autre ville. Entre les deux, il y a 15 ans de questions en suspens. «Le doute est très important dans le processus: Una a passé 15 ans à se faire pointer du doigt comme une victime, alors qu’elle, elle croyait sincèrement l’aimer, expose Gabrielle. Il y a peu de textes qui arrivent à dresser un portrait aussi humain et juste d’une situation aussi délicate. C’est confrontant, parce que ça pourrait arriver à tout le monde!»

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photo : Eliot Laprise

Le metteur en scène, Olivier Lépine, ajoute: «C’est lourd, mais jamais le spectateur n’est pris en otage ou ne se sent voyeur. Gabrielle a le bon mot, c’est confrontant: on se dit spontanément que 12 et 40 ans, c’est de la pédophilie. Mais le mot n’est jamais dans la pièce. C’est possible que tu te surprennes à les trouver complices. C’est comme si ces deux solitudes là se rejoignent, tout d’un coup, peu importe l’âge. Tu te dis que ça se peut, puis tu repenses à la genèse, et tu as un malaise…»

Pour mettre en scène ce face-à-face plein d’émotions, il fallait jouer de nuances. «C’est carrément un marathon couru comme un sprint, témoigne Olivier. On est tous témoins de ce premier contact en 15 ans. Parfois, les réactions du public et des comédiens sont en simultané. La proximité de l’espace en L à Premier Acte est parfaite pour ce show: même dans la dernière rangée, tu es dans la pièce avec les comédiens. On est dans un grand réalisme, pas de cue de lumière, pas d’effet théâtral, on fait confiance entièrement au texte et au jeu de Gabrielle et de Réjean. C’est un peu comme Dogme95 de Lars von Trier, au théâtre!»

Autant pour Gabrielle que pour Olivier, ainsi que pour la compagnie L’Apex (dont c’est la première production), le dialogue est le mot-clé de cette pièce et de toute l’expérience théâtrale. «Le théâtre doit être un moteur de discussion; assurément que Blackbird fait jaser! C’est un bon point de départ pour parler bien entendu de consentement, mais de plein d’autres choses. Même entre nous, on n’est pas d’accord: Gab et moi, on n’a pas la même opinion de cette histoire! Et le public ne sera jamais unanime, même s’il est forcé de prendre position à la fin.»

Blackbird
Texte de David Harrower
Mise en scène d’Olivier Lépine
Théâtre Premier Acte
Du 12 au 23 février