Catherine Chabot, entre les lignes
Scène

Catherine Chabot, entre les lignes

L’auteure et comédienne présente ses Lignes de fuite au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Derrière le récit d’une soirée entre amis, elle y dresse le portrait d’une génération et ses questionnements.

On avait entendu parler du talent d’écriture de Catherine Chabot lors du remarqué Table rase en 2015, puis avec Dans le champ amoureux en 2017. Deux ans plus tard, elle termine son triptyque avec une pièce dans laquelle elle évoque ses propres angoisses et réflexions de jeune trentenaire. «Il s’agissait au départ de parler du Québec après le Printemps Érable, voir ce qu’il en restait. Projet ambitieux! rit l’auteure. Je voulais prendre le pouls de notre génération. De tout ce travail, j’en ai sorti un thème: l’avenir. La pièce est aussi issue d’un questionnement personnel et intime. On vit tellement dans une époque d’angoissés, angoissante…»

Dans ce huis-clos d’une heure et demi qui se déroule lors d’une soirée de crémaillère, les discussions évoquent les valeurs de chacun, leurs visions de la famille ou de l’amitié, les écarts de salaires ou de vision politique… C’est aussi une pièce sur les relations amoureuses, dans laquelle on observe trois couples interagir (incarnés par Catherine Chabot, Victoria Diamond, Léane Labrèche-Dor, Lamia Benhacine, Benoît Drouin-Germain et Maxime Mailloux). Dans cette ère angoissée, les personnages sont cyniques, cherchant à mettre une distance entre eux et le monde, entre eux et les autres. Finalement, quel est l’idéal d’avenir?

Gilles Deleuze et Woody Allen

Entre les lignes, il y a aussi ces lignes de fuite: des possibles dormants chez chacun et des virtualités réprimées. Un concept des philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari, qui fascine Catherine. «La ligne de fuite, c’est se déterritorialiser, se décloisonner soi-même, enclencher un processus vers un nouveau devenir, définit l’auteure. C’est très complexe comme concept, mais je le prends plutôt au sens poétique.» Aidée par une amie qui a signé une thèse sur Deleuze, elle a navigué dans les livres et les notions philosophiques pour engranger des connaissances et mieux cerner les lignes.

Mais avec sa pièce, Catherine veut «faire descendre la matière sur le plancher des vaches». Dans Lignes de fuite, elle amène le concept via un de ses personnages, doctorant en philo. C’est cette figure d’intellectuel qui éclairera les angles morts au fil de la soirée. «C’est pas une pièce d’intellos pour autant, nuance l’auteure. J’aime les personnages à la rhétorique facile, comme ceux de la dramaturge Nina Raine ou des films de Woody Allen. Il y a quelque chose de savoureux dans ces dialogues-là.»

Durant les deux ans et demi de travail sur la pièce, Catherine s’est entourée de Guillaume Corbeil, conseiller dramaturgique qui l’avait déjà accompagnée pour Dans le champ amoureux. Un texte qui continue d’évoluer au fil des répétitions avec les acteurs, au fil des remises en question. «C’est important pour moi que ce texte continue de bouger, qu’il ne soit pas une matière finie, indique Catherine. Et c’est le fun quand les acteurs participent au texte!»

Crémaillère cathartique

Des acteurs qui participent au texte, et une auteure aux rôles multiples. Catherine porte en effet quatre chapeaux différents pour cette pièce: elle a écrit la pièce, l’a coproduite (avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et la compagnie Corrida, qu’elle a cofondée en 2017), elle confectionne les costumes et tient aussi un rôle dans la distribution. Si elle a déjà joué avec Benoît Drouin-Germain (dans Tribus, présentée au théâtre La Licorne en 2017), elle collabore pour la première fois avec le reste de la distribution.

C’est la firme de Zébulon Perron qui travaille le décor – le designer, plutôt habitué aux intérieurs de restaurants, signe ici sa première scénographie de théâtre. «Le décor est une œuvre d’art en soi!», s’exclame l’auteure avec enthousiasme. Quant à la mise en scène de ses Lignes de fuite, on retrouve à la barre Sylvain Bélanger – qui a par ailleurs déjà dirigé Catherine au Conservatoire. «Il opère comme un chef d’orchestre, explique-t-elle. Il travaille sur l’érosion au cours de cette soirée de retrouvailles entre amis du secondaire, et les masques qui tombent.»

Alors, c’est quoi l’idéal d’avenir, parmi toutes ces visions qui s’entrechoquent? «C’est pas du théâtre de pancartes, nuance Catherine. Tous les points de vue sont à table et je n’oblige personne à penser quoi que ce soit. En fait, la pièce n’apporte pas de réponse, car je suis mêlée moi-même. Lignes de fuite, c’est plutôt un travail cathartique.» Un portrait du Québec d’aujourd’hui donc, où il semble se chercher encore.

Lignes de fuite
Du 12 mars au 6 avril
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
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