Micheline Bernard : Au-delà de Jocelyne et de Radio Enfer
Trois ans après sa création à la Petite Licorne, le monologue de Micheline Bernard en est à son ultime tour de piste. Rares sont les productions théâtrales qui jouissent d’une durée de vie aussi longue, qui sont amenées à sillonner le Québec d’ouest en est. Le succès de la pièce Des promesses, des promesses dénote forcément quelque chose.
Native de Québec, Micheline Bernard a grandi sur la rue Crémazie, dans le quartier Montcalm. C’est là, tout près, dans le 418 toujours, qu’elle a appris son métier et reçu son diplôme du Conservatoire d’art dramatique en 1977. Elle ne migrera à Montréal qu’une décennie plus tard. «C’était formidable parce que c’était une telle époque… Au début des années 1980, il y avait plein de cafés-théâtres. C’était très stimulant, mais au bout de 10 ans, j’étais fatiguée et puis j’avais envie de toucher autre chose un peu. J’ai eu l’occasion de partir et c’est ce que j’ai fait.» Dès lors, l’actrice tombe dans l’œil de Denise Filiatrault et jouera dans une myriade de productions du Rideau Vert avant de décrocher le rôle le plus marquant de sa carrière: Jocelyne dans Radio Enfer, la série comique de Louis Saia. C’était dans les années 1990.
On pourrait la croire blasée, agacée d’y revenir à chaque entretien avec une journaliste de la génération Canal Famille. Mais c’est tout le contraire. «Tu sais quoi? On m’en parle chaque jour. Chaque jour, je te dirais que je rencontre quelqu’un qui me parle de Jocelyne. Des vieux, des jeunes. Les émissions sont retransmises, elles repassent sur Unis TV ou quelque chose comme ça. Chaque fois, ça me fait plaisir. Je me trouve tellement privilégiée d’avoir fait ça. Les gens te regardent avec un grand sourire. C’est l’fun! […] En plus, j’ai tellement fait autre chose. Si on ne me voyait que dans Jocelyne, ce serait un peu frustrant.»
Justement, son personnage du moment ne voit pas (du tout) la vie en yo. Dans Des promesses, des promesses du dramaturge écossais Douglas Maxwell, la comédienne bien-aimée des millénariaux incarne une femme à la fois aigrie et libidineuse. Un rôle de composition, très certainement, une enseignante radicale et lucide «d’un cynisme brillant», pour reprendre les mots du metteur en scène Denis Bernard. Elle avance, évolue en fonçant dans le tas et sans égard aux réactions des autres. Cette Maggie, c’est un bulldozer. «C’est l’un des plus beaux shows que j’aurai faits dans ma vie, comme interprète. En même temps, c’est l’un des plus difficiles parce que, entre autres, c’est d’une solitude épouvantable de faire un solo. […] Sauf que je me dis que Maggie est tellement dans ça, la solitude… Chaque soir, j’ouvre le tiroir et je la laisse sortir. J’essaie juste de le renfermer en finissant. C’est une grosse charge, cette femme.»
Misanthrope en ce sens où elle déteste les autres adultes, l’anti-héroïne se prend toutefois d’affection pour une élève de sa classe. Rosie est une fillette de sept ans d’origine somalienne qui fait du mutisme sélectif et qui deviendra, bien malgré elle, l’objet de rituels spirituels menés par des amis de ses parents. Maggie tentera, par tous les moyens, de la protéger.
Des promesses, des promesses s’impose comme une partition dense, un thriller pavé de blagues et une prise de position dans le sempiternel débat des accommodements raisonnables – un sujet tout aussi chaud au Royaume-Uni. «Tu sais, ça part de quelque chose de vrai. C’est arrivé à une amie de Douglas, une amie qui est enseignante à Londres. Elle avait, dans sa classe, une petite fille qui ne parlait pas. Pendant un an, presque chaque semaine, des dirigeants de sa communauté venaient en classe pour pratiquer des exorcismes devant les autres élèves.»
«Une œuvre majeure»
C’est dans le cadre d’un échange Québec-Écosse que Micheline Bernard et Douglas Maxwell font connaissance. L’auteur était passé à La Licorne pour présenter une courte pièce d’une quarantaine de minutes dont l’histoire s’articulait, cette fois encore, autour d’une dame dans la soixantaine. Le titre était d’ailleurs assez comique: Une veuve respectable s’initie à la vulgarité. «J’aimais beaucoup Douglas même si on ne pouvait pas beaucoup se parler. L’accent écossais… Je ne comprenais rien de ce qu’il me disait, rien pantoute!», avoue la comédienne en riant de bon cœur. «Après notre lecture, en prenant une bière, il dit à Denis et moi qu’il me verrait dans un autre de ses monologues. D’ailleurs, tu sais que Denis c’est mon cousin? Toujours est-il qu’il lui a demandé de nous faire parvenir le texte. Je l’ai d’abord lu en anglais et, évidemment, il y a plein de choses qui me sont passées sous le nez. En même temps, je voyais bien, tout de suite à la première lecture, que j’étais devant une œuvre majeure, un rôle de femme incroyable.»
Élevé par des parents enseignants au sein d’une fratrie qui allait marcher dans leurs pas, Douglas Maxwell conjugue sa connaissance intime du métier à sa passion pour le théâtre. En collégialité avec Maryse Warda, la traductrice, l’auteur emprunte quelques termes au jargon des profs du Québec (dont «compétences transversales») et insuffle ainsi une bonne dose de réalisme aux répliques. Miss Brodie n’est peut-être pas la plus admirable des enseignantes, mais le texte témoigne merveilleusement des défis et exigences qui sous-tendent ce choix de carrière. «Maggie, c’est le genre d’enseignante qui n’existe plus et dont on a beaucoup ri. Elle est pour la discipline, pour le vouvoiement. En même temps, pour elle, c’est une vocation. […] Enseigner, c’est une promesse que tu fais à des enfants. Tu te dévoues et tu ne peux pas briser la confiance de ces enfants-là.»
Cette confiance qui est à la base de tout et dont Maggie a, finalement, tellement manqué. C’est ce que Micheline Bernard a fini par déduire et deviner à force de mémoriser ses lignes. Elle donne aussi un visage à l’épuisement, à ces profs qui travaillent sans compter leurs heures et s’impliquent émotivement, mais dont on ne cesse de sous-estimer les exploits sous prétexte qu’ils ont deux mois de vacances.
Des promesses, des promesses en tournée :
Du 26 mars au 5 avril – La Bordée (Québec)
10 avril – Théâtre La Rubrique (Jonquière)
12 et 13 avril – Théâtre du Bic (Rimouski)
18 avril – Maison de la culture Claude-Léveillée (Montréal)
24 avril – L’entrepôt (Montréal)
25 avril – Maison de la culture Maisonneuve (Montréal)
26 avril – Salle Pauline-Julien (Montréal)
27 avril – Maison de la culture Pointe-aux-Trembles (Montréal)
1er et 2 mai – Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal (Montréal)
4 et 5 mai – Cabaret d’Albert (Salaberry-de-Valleyfield)