Revisor : corps en mots
Depuis mercredi, les créateurs Crystal Pite et Jonathon Young offrent à la Place des Arts une comédie loufoque où fusionnent intelligemment le corps et les mots.
Quatre ans après leur production Betroffenheit (présenté ici l’an dernier au FTA), la chorégraphe montante de la danse contemporaine Crystal Pite et l’homme de théâtre Jonathon Young se réunissent à nouveau pour les amoureux de l’interdisciplinarité.
Dès les premiers instants, le spectateur rentre dans une pièce de théâtre: décor, personnages et narration prennent place. Au rythme de leurs paroles et avec précision, les premiers protagonistes bougent, caricaturent leurs gestes et exagèrent leurs traits de caractère pour implanter l’intrigue… Les déplacements deviennent danse, les gestes du quotidien sont alors magnifiés par l’amplification corporelle et par les réactions outrancières des personnages.
Pendant la première partie, les scènes s’enchaînent dans des lieux mouvants, incarnent la comédie, le loufoque et jouent sur le côté clownesque des personnages. L’histoire se dessine, les relations s’affinent, le mystère s’amincit au rythme des dialogues, mais aussi de la chorégraphie. Toute la première partie de la pièce se fait en lip-sync et montre une connexion chorégraphique dans l’art de l’articulation, tant la bouche que le reste. L’expression existe par les mots, mais se vit par le corps. L’un ne respire plus sans l’autre.
Les effets visuels sont à souligner. Soutenus par des jeux de lumière, les gestes ralentissent ou s’accélèrent et s’apparentent à la cadence d’un film. On observe une comédie qui fait écho à des souvenirs, à des flashs de mémoire et à une temporalité parfois suspendue. Ce spectre temporel élastique est rendu possible sur scène grâce aux capacités infinies du corps et du mouvement. C’est fascinant.
Dans une deuxième partie, l’atmosphère change, les masques tombent et laissent place à la dénonciation, au côté plus sombre de Revisor. Les bouts de paroles servent de partitions musicales et les explications se font corporelles. Dans une beauté du geste, la danse prend le dessus. Un quiproquo, une incompréhension linguistique forme le nœud du scénario, alors pourquoi ne pas parler avec le corps? Avec ce langage universel, les neuf interprètes de talent nous livrent sobriété et fluidité du geste et recommencent l’histoire. Les scènes principales se refont sous nos yeux dans un doux minimalisme, comme des souvenirs, et laissent place à des unissons éphémères, tout en subtilité.
Revisor est aussi colorée par les projections en arrière-plan qui amènent un aspect plus abstrait et diffus à la création, tout comme la musique qui englobe et matérialise la tension, la comédie ou le dévoilement. Ces deux éléments scéniques complètent la pièce et amènent une touche finale dans la compréhension de la farce et de la rupture.
Revisor offre au public une recherche corporelle et théâtrale remarquable. Haletante, la pièce tient en éveil grâce à l’intrigue et à l’élaboration poussée des personnages qui forment un ensemble très éclectique, où chacun arbore sa propre façon de bouger et ses propres mimiques. Une belle comédie fantasque, entre ombre et lumière, qui célèbre la danse théâtre en l’amenant plus loin.
Jusqu’au 6 avril
Au Théâtre Maisonneuve
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