La face cachée de la Lune : Classique moderne
Scène

La face cachée de la Lune : Classique moderne

Il y a près de 20 ans, La face cachée de la Lune voyait le jour au Trident à Québec ainsi qu’au Festival de théâtre des Amériques à Montréal, porté par le génie fou de Robert Lepage. Depuis, le spectacle a été joué dans 65 villes, dans 27 pays différents. Si Lepage en assurait les représentations d’abord, le comédien Yves Jacques a repris le collier, ayant interprété ce solo plus de 300 fois. Ces simples chiffres ont de quoi fasciner, tout en confirmant la place de cette pièce dans le répertoire théâtral québécois, un classique moderne, soit, mais un classique tout de même. Après ce tour du monde, c’est une réelle célébration que de retrouver cette production au cœur de Montréal, le Duceppe donnant ainsi la précieuse opportunité de fréquenter un jalon de l’histoire théâtrale.

Deux frères que tout oppose devront marcher sur le sentier sinueux de la réconciliation suite au décès de leur mère. L’aîné est un doctorant travaillant sur l’importance qu’a pu jouer le narcissisme lors de la conquête de l’espace opposant les Soviets aux Américains, le cadet est un présentateur télé sur une chaîne météo. L’un vit dans la précarité de ses rêves, l’autre dans l’opulence de son succès. En toile de fond, les grands moments ayant ponctué l’histoire spatiale, avec comme figure de proue le cosmonaute russe Alexeï Leonov, le premier à avoir marché dans l’espace. Accompagné d’un dispositif scénique judicieux et efficace – une immense structure composée de miroirs pivotant sur elle-même servant tantôt de bar, tantôt d’aéroport, tantôt de sortie spatiale et jouant avec les profondeurs de champ – ainsi que du marionnettiste Éric Leblanc -, Yves Jacques s’illustre dans un solo sans faute, enfilant la totalité des rôles sur scène avec une aisance déconcertante. Dès les premières phrases, il est évident que le comédien fait qu’un avec un texte qu’il n’a plus à connaître, mais un texte qui l’habite, tout simplement. Que pour cette performance, La face cachée de la Lune vaut le détour.

Toute proposition artistique cherche l’équilibre entre le fond et la forme, l’un justifiant l’autre, l’un sublimant l’autre. Aussi futile cet énoncé puisse-t-il paraître, créer une pièce de théâtre où le fond et la forme sont indissociables est un réel tour de force, et c’est exactement ce qui donne toute la puissance de frappe à La face cachée de la Lune. Les enjeux sociaux et personnels que Lepage met ici en scène sont multiples, mais tous trouvent écho dans le jeu de Jacques et dans la juxtaposition des archives historiques. Si le cosmos peut sembler un contrepoids facile pour jouer sur la réclusion des êtres, jamais Lepage ne tombe dans ce piège, proposant une tragédie où l’irréconciliabilité, le narcissisme et l’amertume sont aux premières loges de nos solitudes, nos propres faces cachées. À voir, sans faute.

Jusqu’au 11 mai
Au Théâtre Jean-Duceppe
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