21 : Le fruit de son époque
Scène

21 : Le fruit de son époque

Pour sa deuxième saison de résidence au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, la comédienne Rachel Graton nous livre sa seconde pièce 21, un texte qui plonge dans un sujet humain douloureux et marginalisé. 

C’est dans un centre jeunesse qui semble être abandonné de tous que prend place l’histoire, une rencontre entre deux lignes de vie brisées. Un peu hors du temps, un système dans un système. Il y a Sara, assistante sociale, campée par Isabelle Roy et Zoé, le «petit hoodie» – comme on l’appelle – à sauver, sous les traits de Marine Johnson.

Dans un décor de gymnase, les deux personnages se livrent l’une à l’autre, de peine et de misère. Au début, c’est Sara qui parle et qui se cogne contre le silence assourdissant de Zoé. «Anxiogène» est le mot entendu dans la bouche d’une spectatrice à la fin de la pièce pour désigner cette absence de parole. On reconnait déjà l’écriture de Rachel Graton qui possède ses petites particularités: le jeu de tension dans des dialogues entrecoupés de mutisme et d’agitation.

Même quand 21 devient un véritable duo, les échanges sont à l’image d’un corps qui se disloque. À l’image de la colère qui habite la jeune Zoé ou des tendances autodestructrices de son intervenante. Avec en appui une langue très parlée et réaliste, la tension est aussi corporelle et spatiale. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que Marine Johnson ait été nommée aux prix Iris du cinéma québécois à titre de révélation de l’année en 2018. Elle dégage une force brute à laquelle répond parfaitement la maîtrise calme d’Isabelle Roy. La pièce repose totalement sur l’interaction des deux comédiennes et les récurrences d’un ballon qu’on dribble ou qu’on lance.

photo Philippe Latour

Le basketball sert de lien entre les deux femmes, un prétexte aux séances prévues dans le plan d’intervention de l’adolescente de 15 ans. La pièce est découpée en 12 matchs, 12 occasions de craquer, 12 occasions pour les spectateurs de prendre en plein visage une réalité intime et sociale à travers une histoire. Sans dire que tous les centres jeunesses sont pareils, ni que tous les jeunes traversent les mêmes problématiques ou que tous les intervenants sont des alcooliques étouffés par leur métier, 21 est un miroir de son époque.

On y questionne l’héritage social et son conditionnement. Face au sort, au système, aux cases, comment se construire une identité, un espace à soi? Comment le vouloir tout simplement? Le personnage de Zoé commence dans la vie, comme on dirait, avec les mauvaises cartes en main. Entre les lignes, on aborde également un certain épuisement social.

Malgré sa fin mitigée entre victoire et défaite, 21 sème ici et là quelques miettes d’espoir. Toutefois, on n’en sort pas avec de véritables réponses face au constat qu’une bonne partie de notre jeunesse est laissée à elle-même et tombe rarement sur un ange comme Sara. On reçoit plutôt le propos avec un certain découragement teinté de consternation.

Jusqu’au 8 mai 2019
au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
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