Strindberg : La parole aux femmes?
Pour clore son cycle scandinave, le Théâtre de l’Opsis s’est penché sur August Strindberg, mais au lieu de s’arrêter sur l’une de ses pièces, la compagnie a décidé de réfléchir à l’auteur et à son œuvre, à sa misogynie, à sa réaction à la modernité, à ses mariages houleux, à sa pensée. Pour ce faire, la metteure en scène Luce Pelletier a demandé à neuf autrices de donner voix à ses femmes, Siri von Essen, Frida Uhl ou Harriet Bosse afin de leur permettre de répondre au discours de leur ex-mari.
Ainsi, les plumes de Rachel Graton, Catherine Léger, Jennifer Tremblay, Marie Louise Bibish Mumbu, Suzanne Lebeau, Anaïs Barbeau-Lavalette, Anne-Marie Olivier, Véronique Grenier et Emmanuelle Jimenez, se mêlent à des extraits de la correspondance d’August Strindberg et à des passages de son répertoire pour former une odyssée dans la psyché de ces témoins d’un tournant important pour le théâtre et la société moderne. La démarche pose des questions intéressantes sur la possibilité de séparer l’artiste de l’homme, sur le sentiment amoureux versus le besoin de domination, sur la guerre des sexes dans un contexte familial ou créatif. Cependant, la commande, qui voulait accueillir chaque autrice dans leur unicité, cause parfois des ruptures de ton qui déstabilisent, puisque la mise en scène ne les soutient pas.
D’abord, les trois femmes que Strindberg a mariées ont toutes en commun qu’elles sont des femmes fortes, indépendantes, ambitieuses, architectes de leur bonheur. Deux d’entre elles étaient actrices, l’une était journaliste. Elles étaient à l’avant-garde de leur époque, en ce qu’elles cherchaient à avoir les mêmes avantages que leurs acolytes masculins. Elles ont vécu des vies rocambolesques (avant, pendant et après Strindberg) et sont en soi des héroïnes dignes d’un rôle principal (on ne s’étonne pas que Strindberg se soit inspiré de sa vie pour écrire son œuvre). On ne pourrait que se réjouir d’enfin pouvoir en apprendre davantage sur elles. Malheureusement, le collectif, pour les besoins de son angle, choisit la plupart du temps d’observer les femmes à travers une seule lorgnette, les confinant à une identité réductrice. Siri était carriériste, Frida enragée et Harriet frivole. Cette unilatéralité de proposition influence le jeu, évidemment. La distribution nous propose une interprétation adéquate, mais sans grande surprise, mis à part peut-être Jean-François Casabonne et Isabelle Blais. Jean-François Casabonne nous propose un Strindberg, bien que principalement psychotique, souvent tendre et conscient de ses dichotomies, tandis qu’Isabelle Blais compose une Siri sensuelle, blessée, parfois vindicative, parfois bienveillante.
La proposition scénique joue avec la nature spectrale de l’univers et nous offre quelques visions poétiques en ce non-lieu physique qu’est l’esprit torturé d’August Strindberg. Les actrices se partagent la confrontation, quand elles n’errent pas derrière l’auteur possédé de douleur, ajoutant encore à cette idée qu’elles ne se définissent qu’en fonction de lui.
Strindberg est un spectacle ambitieux avec un objectif fantastique. Cependant, de par sa démarche même, il perpétue ce qu’il dénonce, en ce que ses personnages féminins n’arrivent pas à s’élever au-dessus de leur statut de «femmes de Strindberg».
Jusqu’au 12 mai
À Espace GO
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