David Goudreault : Transporter la parole
Scène

David Goudreault : Transporter la parole

L’auteur David Goudreault pourrait s’asseoir sur le succès de sa Bête, mais il multiplie au contraire les projets. Ses objectifs: sortir de ses zones de confort et initier les gens à la littérature.

«J’ai des projets qui marchent bien et d’autres moins, mais je les fais quand même», lance David Goudreault, attrapé pendant un déplacement. «Je me méfie d’aller vers ce qui fonctionne bien», insiste-t-il.

Pourtant, des projets qui fonctionnent, il y en a! Son calendrier de spectacles n’a rien à envier à ceux de plusieurs musiciens ou humoristes, avec plusieurs dates par mois jusqu’en 2020 un peu partout au Québec. Avec un spectacle de littérature, doit-on le rappeler.

Déjà fort d’un succès critique au Québec, sa trilogie La bête (La bête à sa mère, La bête et sa cage et Abattre la bête) a été rééditée en format «intégrale», en plus de maintenant faire sa percée en Europe, où le premier volet a été réédité d’abord aux éditions Philippe Rey, puis en format poche chez 10/18. Plus encore, cette réédition française est finaliste au Prix littéraire France-Canada, un prix qui a récemment souligné les travaux de Nicolas Dickner et Marie Laberge.

Bien que l’auteur savoure le «super accueil» et y voit une très sympathique reconnaissance «symbolique», David Goudreault ne croit pas que sa renommée en France se fera différemment qu’au Québec. «J’ai un rapport de proximité avec le public. C’est beaucoup plus le bouche-à-oreille qui me fait connaître. Je discute beaucoup avec mes lecteurs.»

S’il s’est fait connaître avec le slam, David Goudreault a tout fait depuis pour défaire les étiquettes qu’on voulait lui coller. Le «etc.» qui suit «auteur» sous son nom, sur son site internet, cache une bien longue liste: poète, conférencier, performeur, romancier, chroniqueur, dramaturge. La liste n’est sûrement pas exhaustive. «J’essaie de secouer les étiquettes, d’explorer ce que je peux faire, jusqu’où je peux aller.»

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Les différentes formes d’écriture permettent d’explorer différentes zones, la poésie est, par exemple, plus introspective et le roman est le gros terrain de jeu. «Mon dénominateur est l’écriture, toujours l’écriture, mais la poésie est au cœur de ma vie.»

Cet amour de la poésie, il le transmet dans son spectacle Au bout de ta langue: humour debout et poésie drette et en organisant, tous les deux ans, la Grande Nuit de la poésie de Saint-Venant. «Des vraies nuits», pas des soirées qui se terminent à minuit.

Attirer environ 1000 personnes pour venir écouter de la poésie, la nuit, dans un village de 100 personnes, c’est le genre de projet qui allume David Goudreault. La prochaine édition est prévue en août 2020.

L’auteur constate aussi un renouveau en poésie au Québec. Un élan auquel le slam a sans aucun doute contribué selon lui. «Le slam a permis de rendre le truc plus accessible, d’entrer dans les écoles.» Depuis, il constate qu’il a de moins en moins besoin de vendre ou de défendre la poésie. Il voit aussi l’évolution de l’écriture chez les jeunes dans ses nombreux ateliers.

Cette initiation en douce chez les jeunes a été accompagnée par la naissance de jeunes maisons d’édition (Éditions de l’Écrou en 2009, La Peuplade en 2006, Poètes de brousse en 2004, entre autres), et la multiplication de micros ouverts un peu partout. «L’oralité a rendu plus accessible la poésie», souligne le poète, «emballé par ce renouveau».

photo Kelly Jacob / Consulat

«Entre le spoken word, le trash, l’humour, le contemporain, les formes classiques, il y en a pour tous les goûts, mais il y a surtout une cohabitation entre les styles», fait valoir le Trifluvien d’origine, établi depuis 15 ans en Estrie.

La poésie au Québec n’a pas été aussi dynamique depuis les années 1970 selon le poète, content de cette démocratisation de l’écriture. «On n’est pas obligé d’avoir étudié la poésie pour en faire, insiste-t-il. Si tu incarnes ce que tu écris, tu es dans la poésie.»

Incarner sa poésie, ça exige de parler avec son cœur, de partager sa vision du monde. Pas seulement avec la poésie, mais aussi comme chroniqueur, comme romancier, même. «J’assume mes valeurs, mais ce n’est jamais de front, amène l’écrivain, mais il y a une forme de critique sociale, un regard sur les rapports humains.»

«Je ne fais pas de l’art engagé, mais je suis politisé», explique celui qui est intervenant social de formation, en contact direct parfois avec les drames les plus quotidiens, mais aussi les plus déchirants et violents. Un travail qui influence son imaginaire.

Il ne cache pas qu’il s’influence de sa vie quotidienne, d’ailleurs. «Je m’interroge sur les relations humaines, tout part de là. J’espionne les conversations. Je suis toujours en train d’observer et de prendre des notes. Les gens qui se confient à moi sont à risque d’être dans un roman. Mais parfois, ce que les gens vivent est trop irréaliste pour un roman, mais je vais utiliser le nœud ou l’émotion.»

Si David Goudreault ne cherche pas nécessairement à être politique, cette saveur est difficile à mettre de côté. «Je ne veux pas une casquette politique, mais je crois qu’avoir des tribunes vient avec des responsabilités», explique l’écrivain.

Là encore, l’auteur tente d’explorer les différentes zones qui se présentent à lui. «Je suis parfois cheezy, puis après, je me permets d’explorer le cru et la violence.» Il ne faudrait pas croire, cependant, que le tabou soit le propre des mots crus, la tendresse aussi a ses malaises dans l’écriture. «Il y a aussi un tabou dans la sensibilité.» Se montrer vulnérable déstabilise dans un monde où il faut être fort ou performante.

Bien qu’il soit heureux de toucher les gens avec ses histoires, David Goudreault apprécie surtout son rôle d’ambassadeur des mots. «Je veux éduquer les gens sur la poésie, passer la parole», avait-il mentionné à propos de ses nuits de poésie.

«Elle est là, notre culture, notre identité, dans notre littérature qui est si riche.»

Les nombreux témoignages qu’il reçoit semblent confirmer qu’il y arrive. «Je constate que je joue le rôle de rendre accessible la littérature.» Une mission qu’il endosse sans hésitation, fier d’être une «bougie d’allumage».