Cr#%# d'oiseau cave : Insolence vivifiante
Scène

Cr#%# d’oiseau cave : Insolence vivifiante

Il y a chez Tchekhov cette analyse douce-amère de la tragédie humaine autour de thèmes intemporels; les amours impossibles, la détresse invisible, la quête de la reconnaissance. Il est donc normal de retrouver ses pièces jouées sur nos scènes encore aujourd’hui. La Licorne nous présente, par l’entremise du metteur en scène Michel-Maxime Legault (qu’on avait vu plus tôt cette année avec Centre d’achats, au CTD’A), une adaptation du texte de l’Américain Aaron Posner, connu pour ses visites libres dans l’univers de l’auteur russe. Oncle Vania devenait Life Sucks, Les trois sœurs devenait No Sisters et on devinera que La Mouette est notre Cr#%# d’oiseau cave (Stupid Fucking Bird).

D’emblée, la mise en scène minimaliste appuie sur le propos du texte, sur le travail des acteurs et sur les libertés de l’auteur quant à la forme. Le plateau nu, au périmètre de jeu délimité par un simple tracé lumineux, ne propose aucune distraction visuelle. Ici, les conventions traditionnelles sont malléables et le quatrième mur facultatif; on interpelle le spectateur et on souhaite sa répartie. Le travail d’adaptation se colle à notre Québec 2019 pour critiquer le milieu théâtral, le culte du vedettariat, la représentation de la perfection, la portée des réseaux sociaux, ainsi de suite, et ce, avec un humour des plus décapants. De l’univers de Tchekhov, on garde les personnages, les intrigues et les thèmes, en faisant ressortir le drame relié à la vacuité de l’existence et à la souffrance de se savoir insignifiant.

Pour incarner ces êtres torturés, la distribution solide composée de Roxane Bourdages, François-Xavier Dufour, Robert Lalonde, Catherine Lavoie, Danielle Proulx, Sasha Samar et Richard Thériault continue de jouer avec le nébuleux. Par exemple, Trigorine, auteur de génie, et Emma, l’actrice de métier, sont joués par Robert Lalonde et Danielle Proulx, et il arrive fréquemment qu’on se demande qui, de l’acteur ou du personnage, prend parole devant nous. Si ce flou pousse plus loin les réflexions, il entraîne une certaine dissociation qui nuit parfois à la portée émotive du tragique, même s’il donne beaucoup de nourriture à l’intellect.

Il se dégage de Cr#%# d’oiseau cave, de par sa démarche irrévérencieuse et son discours on ne peut plus provocateur, une attitude punk qui rafraîchit. Une promesse de renouveau enrobée d’un fort joli fuck you.

Jusqu’au 25 mai
à La Licorne
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