Tous des oiseaux : Les identités meurtrières
Scène

Tous des oiseaux : Les identités meurtrières

Après un triomphe parisien au Théâtre de la Colline, la dernière création du dramaturge et metteur en scène québéco-libanais Wajdi Mouawad arrive à Montréal en ouverture du Festival TransAmériques. Tous des oiseaux, pièce-fleuve d’une durée de quatre heures, prend sa source au cœur de l’Histoire pour remodeler les thèmes phares de l’auteur: l’identité, la transmission de la haine, le poids de la mémoire. D’une simple histoire d’amour, contre laquelle les affres du passé ne peuvent rien, une tempête bouleversera le fragile équilibre familial, catalysée par les écarts générationnels et les secrets qui, en catimini, construisent les êtres. De New York jusqu’à Jérusalem, en passant par Berlin, Tous des oiseaux se veut une pièce totale, un cours de narration.

Eitan et Wahida se rencontrent dans une bibliothèque de New York, au hasard d’un livre. Lui juif, elle arabe, mais au cœur de l’Amérique, rien ne pourrait être plus futile. Cette histoire fusionnelle les transportera en Israël, lui sur les traces d’une vérité familiale, elle sur celle de sa thèse de doctorat. Tout explose au même moment qu’un autobus à la douane jordanienne, où ils se trouvent. Eitan plongé dans un coma, Wahida à son chevet, les parents du garçon quittent Berlin pour le veiller, de même que son grand-père paternel, ainsi que sa grand-mère, effacée depuis 35 ans du portrait familial et demeurée en Israël. Tous, sous les néons d’un hôpital au centre d’un pays en guerre, se retrouveront pour une rare fois. Dès lors, les secrets ne pourront être tus de nouveau, car la vérité n’est pas toujours en concordance avec les narrations qui nous forment.

Si le décor est immense – de grands panneaux amovibles sur lesquels les projections nous transportent d’un lieu à l’autre – la mise en scène est tout de même sobre. Le tour de force de cette pièce réside dans les langues multiples dans laquelle elle est jouée: anglais, allemand, arabe et hébreu. Pas un seul mot en français. Les personnages parlent exactement la langue d’où ils sont et cette musicalité favorise le poids de l’histoire. Pour le spectateur, le tout résulte en une proposition plus littéraire que théâtrale, lisant des surtitres pendant toute la représentation.

Plusieurs auteurs semblent errer sur la scène: que l’on pense au parfum shakespearien qui enrobe la tragédie, quelque chose comme un Roméo et Juliette au cœur du conflit israélo-palestinien. Mais aussi l’écrivain libanais Amin Maalouf, que ce soit avec son essai Les identités meurtrièressur lequel semble presque reposer l’approche théorique de la pièce, ou encore Léon l’Africainson roman autour de Hassan al-Wazzan, cet ambassadeur magrébin qui, en pèlerinage à la Mecque, se fait capturer et offrir au pape Léon X pour lequel il se convertira au christianisme. C’est sur ce même personnage que Wahida travaille pour sa thèse et le pèlerin errera à quelques reprises sur scène, porteur de métaphores sur la compréhension du monde. Un mot sur les acteurs: ils sont franchement excellents, à part, peut-être, Raphael Weinstock (interprétant David, le père d’Eitan) qui semblait avoir une certaine difficulté en fin de parcours lorsqu’une bonne partie des révélations reposaient sur ses épaules. De toute façon, dès que Leora Rivlin (interprétant la grand-mère maternelle) fait son entrée en scène, on n’a d’yeux que pour elle, tellement son jeu est soufflant et nuancé.

Si la narration est assez habile et que le sujet touche à l’universalité, il a quelque chose qui achoppe dans la durée. Pièce en quatre actes, il semble que le pacte d’écoute entre la création et le spectateur ne tient pas. On peine à comprendre la durée de la pièce, alors qu’à plusieurs reprises on use de diverses métaphores pour tenter de cimenter le propos de la pièce qui nous semble déjà clair. Que l’on pense à Des arbres à abattre de Krystian Lupa basé sur l’œuvre de Thomas Bernhard ou encore Kings of War de Ivo van Hove basé autour du cycle des rois de Shakespeare (présentées respectivement en 2017 et 2018 au FTA) qui avaient une durée similaire, on comprenait comment la pièce se dépliait dans le temps, comment cette forme épousait le fond. Ici, on ne peut s’empêcher de penser que quelques redites – tout comme quelques détours narratifs – auraient pu être évités, sans toucher au cœur de la dramaturgie et de ses révélations. La critique n’est pas là pour réécrire le texte, mais au moment de quitter le théâtre il m’est semblé qu’il ne manquait qu’un bon resserrement à l’ensemble pour créer une réelle charge qui jamais ne s’essouffle. Si Tous des oiseaux est une bonne pièce, elle n’est toutefois pas un événement.

Jusqu’au 27 mai
dans le cadre du Festival TransAmériques
Chez Duceppe
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Le 3 juin
au Carrefour à Québec
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