L’Énéide : une nouvelle épopée
Il faut le mentionner d’emblée: L’Énéide d’Olivier Kemeid n’est ni une adaptation ni une réécriture du texte de Virgile. S’inspirant ouvertement de la tragédie, l’écrivain (et désormais directeur du Quat’Sous) propose une nouvelle fois sa pièce créée d’abord il y a 12 ans sur les planches de l’Espace Libre. Il faut dire que le texte est on ne peut plus d’actualité: après qu’on ait mis leur ville à feu et à sang, hommes et femmes partent en quête d’un Nouveau Monde où se poser. Avec Énée à leur tête, l’épopée ne sera bien sûr pas de tout repos. À une époque où la crise des migrants redéfinit à elle seule les concepts de nations et de territoires, L’Énéide de Kemeid permet d’ouvrir la réflexion et de faire du théâtre, un soir durant, une agora où la pensée peut s’épanouir entre le texte et le public.
Une nouvelle distribution s’attaque à ce texte qui recèle la grandiloquence que l’ont connaît à Kemeid. Tragédie, soit, mais pas sans pointes d’humour. Si la traversée d’Énée se veut dramatique, Kemeid prend le pari de la mettre en relief avec notre confort occidental, qui se voit ici parodié, voire pastiché, tout au long de la pièce. Ces petits tableaux cocasses sont peut-être le point faible de la proposition, eux qui viennent briser le rythme, alors qu’ils se devaient de le détendre au départ. Les costumes, tout comme le jeu, se veulent ici grossiers, et le choc ne passe pas particulièrement bien. C’est qu’autrement, on est dans la fatalité du déracinement et dans l’espoir d’un monde à faire, ce qui laisse très peu de place à l’humour.
N’empêche que malgré ce bémol, la pièce recèle de moments assez forts qui parviennent à faire oublier ces écarts de ton. Et le succès réside peut-être en Énée, interprété magnifiquement par Sasha Samar qui, à aucun moment, n’échappe une réplique. D’ailleurs, Étienne Lou, qui tient le second rôle, pâlit un peu aux côtés de Samar. Qui sait, peut-être qu’après quelques représentations, il retrouvera sa justesse. Si, à la sortie du théâtre, les questions posées résonnent encore, ce qui me trottait dans la tête est surtout l’incroyable performance que Samar venait d’offrir. Comédien presque maison de Kemeid – l’auteur a d’ailleurs relaté la vie de Samar dans Moi, dans les ruines rouges du siècle en 2013 – qu’on a pu voir récemment dans Les manchots au Quat’Sous, il est toutefois sidérant qu’on ne le retrouve pas sur les planches plus souvent. Son fort accent slave doit y être pour quelque chose, mais je me plais à espérer que sa carrière saura un jour refléter le talent indiscutable qui est le sien.
L’Énéide
au Théâtre Quat’Sous
jusqu’au 28 septembre