Les Serpents: Perfides unions
C’est avec un objet étrange comme on en voit rarement sur scène que Luce Pelletier et le Théâtre de l’Opsis amorcent le Cycle des territoires féminins. À la fois portrait familial, joute psychologique et théâtre d’horreur, la pièce s’installe dans un univers amalgamant fantastique et réalisme pour jouer avec les attentes du spectateur et le laisser coi.
Un 14 juillet caniculaire. Madame Diss (Isabelle Miquelon) visite son fils pour lui emprunter de l’argent, mais se fait refuser entretien et accès à la demeure. C’est la nouvelle femme de ce dernier (Catherine Paquin-Béchard), mère et épouse dévouée, qui l’accueille pour lui expliquer les raisonnements de son mari. Elles seront bientôt rejointes par l’ex-femme (Rachel Graton), venue régler ses comptes.
D’abord, il y a le partenariat entre la scénographie de Francis Farley-Lemieux et les éclairages de Marie-Aube St-Amant Duplessis qui, évoquant les peintures de maisons de David Lynch, arrive à construire à partir d’une seule idée, de prime abord inoffensive, une ambiance de plus en plus oppressante. L’innocente maison deviendra tranquillement l’antre saugrenu d’un dévoreur d’enfants.
Mais c’est le texte surtout qui se démarque dans l’expérience. Lauréate du Fémina (Rosie Carpe, Les Éditions de Minuit, 2001) et du Goncourt (Trois Femmes puissantes, Gallimard, 2009), Marie NDiaye nous offre une partition complexe et dense pour actrices aguerries. Ici, la menace réside en ce qui devrait être porteur de beauté. Le fils qui se révèle ingrat, le père sanguinaire, l’amoureux vampirique. L’ennemi est voleur de jeunesse, profanateur de dévotion, ogre inassouvissable. Cependant, il ne faudrait pas y lire une simple allégorie féministe puisque les femmes, lorsque vient le temps de se dévoiler, font montre des mêmes cruautés, de la même perfidie, des mêmes calculs. NDiaye délaisse la structure classique pour ausculter, à force d’éclats entre les personnages, les méandres glauques de la bête humaine.
La pièce pourrait s’avérer hermétique pour certains, peut-être à cause du traitement ou du sujet. Si les actrices font preuve d’une force solide pour livrer l’oeuvre, elles semblent parfois écrasées par l’ampleur du monument, les empêchant d’explorer les nuances des différents registres. Il reste que Les Serpents, en déconstruisant les liens toxiques qui unissent parfois les familles, peint un tableau glacial de ce que l’humanité possède de dur et de laid.