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Téléréalité 101

Téléréalité 101
Un danseur du 281 déguisé en Tarzan marmonnant maladroitement son désir à une bande de jolies filles durant un party d’Halloween.

Un chanteur à succès faisant son épicerie sous l’œil attentif d’une équipe de télévision.

J’ai toujours trouvé nos télé réalités québécoises terriblement ennuyeuses.  Pas qu’elles soient mal ficelées ou mal produites.  Au contraire.  Nos équipes techniques sont désormais aussi fortes qu’en Europe ou aux États-Unis.  Peut-être même davantage.  Seulement, j’ai du mal à comprendre pourquoi je passerais 12 ou 13 heures de ma vie à suivre le quotidien de gens qui sont censés me ressembler et pourquoi je souhaiterais suivre la suite de leur vie une fois « l’aventure » terminée (encore aujourd’hui, les magazines à potins prétendent souvent doubler leurs chiffres de vente les semaines où une vedette de télé réalité se retrouve en page frontispice pour raconter son histoire ou nous donner des nouvelles de son quotidien.  Oubliez nos chanteurs populaires et nos acteurs.  Les gens ordinaires sont devenues les vraies stars en 2010).

Un petit baiser par ci, une petite querelle par là…  Il ne se passe jamais grand chose sous l’œil du Big Brother québécois, bien qu’entre vous et moi, 75% de ce qu’on voit à l’écran soit arrangé avec le gars des vues.  Les conversations qui dérapent durant un souper?  Souvent alimentées par l’alcool fourni en grande quantité aux participants.  Les sorties et les fameux voyages?  Souvent tournés très rapidement sans que les amoureux ne prennent vraiment le temps de vivre le voyage.  De la « réalité » vécue artificiellement pour que la caméra prenne bien notre baiser, pour que notre visage soit bien éclairé par un spot caché durant un rencart…

Les Américains, eux, ont compris que tant qu’à inventer une fausse réalité, aussi bien lui ajouter une petite dose de stéroïdes.  Les italo-américains gonflés aux hormones de Jersey Shore ont ainsi été choisis pour leur personnalité flamboyante les apparentant à de véritables animaux de cirque.  Tant qu’à suivre les journées d’un gars qui s’entraîne, autant en choisir un qui pousse le culte de sa propre personne à un tel point qu’il en devient ridicule.  "Je tombe rarement en amour parce que je suis incapable de trouver une fille qui m'arrive à la cheville".  Dans Rock of Love, des poufiasses sans classe aucune doivent rivaliser pour gagner le cœur du rocker has-been Bret Michael.  Résultat?  Jurons pas possible, altercations physiques entre filles, nudité, déclarations chocs…  La vraie vie de rock star.  Pourquoi faire dans le gentil-gentil et prétendre que tout ceci est la vraie vie alors qu’on sait tous très bien qu’une équipe de scripteurs est derrière chacune des minutes qu’on nous présente à l’écran?

Les règles de la téléréalité
« L’ironie, c’est qu’il y a peu de réalité dans la télé réalité. Le génie des grandes chaînes est d’avoir vendu ces émissions comme étant représentatives de la réalité, d’avoir vendu l’idée de la réalité aux téléspectateurs. »

Si vous en avez la chance, jetez un coup d’œil à l’ouvrage Téléréalité : Quand la réalité est un mensonge écrit par Luc Dupont.  Professeur agrégé au Département de communication de l’Université d’Ottawa et chercheur en communication marketing chez Cossette Communication-Marketing, Dupont a tenté de comprendre pourquoi les télé réalités sont encore aussi populaires malgré le fait qu’on prédisait leur déclin il y a déjà une dizaine d’années.  Pourquoi l’émission Occupation Double a-t-elle encore réussi à attirer 1 718 000 Québécois dimanche soir alors que les gens autour de moi ne font que me répéter que les concepteurs semblent avoir fait le tour du jardin depuis 2 saisons déjà.

Pour Luc Dupont, il y a des grandes règles qui assurent le succès d’une télé réalité, qu’elle soit flamboyante et excitante comme celles qu’on tourne aux États-Unis ou plus collée à la « vraie » réalité comme le sont les séries québécoises.  Pour fonctionner, une télé réalité doit par exemple permettre l’identification avec ces gens qu’on nous présente comme étant « ordinaires » tout en nous permettant de nous évader en les regardant vivre.  On doit donc pouvoir s’identifier à chacun des participants et se dire qu’ils nous ressemblent, mais ceux-ci doivent être beaux, jeunes, sensuels et posséder un sex-appeal absolu.  Logique.

Dupont parle aussi de la notion de pouvoir que la télé réalité nous permet d’exercer sur d’autres êtres humains.  En nous permettant une certaine interactivité, les télé réalités nous donnent l’impression d’avoir le sort d’un autre individu entre nos main.  Éliminé ou pas le gros barraqué qui a frenché avec trois filles dans le dernier épisode?  La loi de la jungle en condensé, où les plus faibles prendront rapidement le bord pour laisser les plus féroces et les plus forts finir avec la jolie fille dans un spa.

Véritable sport nouveau genre pour Dupont, avec ses gladiateurs et sa quête de victoire à tout prix, la télé réalité compenserait également pour l’individualisme qui caractérise notre nouvelle société en rassemblant le peuple autour d’un même sujet.  À l’heure où la question nationale n’intéresse plus grand monde, où la solitude urbaine semble avoir pris le dessus et où les projets et intérêts communs de société n’existent pratiquement plus, il est encore bon pour un peuple de se rassembler autour d’une passion rassembleuse et fédératrice.

Entrez dans le spa et suivez les gros muscles qui vous ressemblent.  La vraie vie est dans un téléviseur près de chez vous.  Big Brother is watching you.