Hystérique, une jeune femme en nuisette blanche sort sous la pluie battante en balbutiant des mots incompréhensibles. Prenant ses jambes à son cou, elle fuit entre les arbres sinistres d’une forêt éclairée de bleu et de vert avant de rejoindre la chambre de son dortoir et d’y être assassinée et pendue par une créature velue. La pauvre vient de découvrir que l’école de danse où elle étudiait est en vérité le repère d’une secte de sorcières…
J’ai eu un choc en voyant le jouissif Suspiria (1977) de Dario Argento pour la première fois. Un film d’horreur 100% seventies, mettant en scène de façon baroque des meurtres rituels ultra-violents comme s’il s’agissait de tableaux d’opéra et s’accompagnant d’une trame sonore de rock progressif tonitruant. Un film unique en son genre (ou en tous genres!) qui m’a fait instantanément tomber en amour avec le cinéma fantastique italien.
On a souvent appelé Dario Argento le « Hitchcock » des cinéastes italiens. La rockstar du film d’épouvante transalpin et l’une de ses figures populaires les plus emblématiques. Et pourtant, il ne figure toujours pas dans les livres d’Histoire du Cinéma. Oh il y figure, mais souvent au milieu de chapitres secondaires, relégué dans la longue liste des « autres » cinéastes, ceux qui méritent une mention dans leur cahier mais qu’on ne daigne pas considérer comme de grands maîtres. De la bouche de Dario lui-même, on lui a toujours préféré un type comme Brian De Palma, qui n’a pourtant fait que recycler le travail d’Hitchcock et d’Argento tout au long de sa carrière.
Alité depuis une semaine aux suites d’une ablation des amygdales (eh oui! Ça existe encore à 30 ans!), j’ai le luxe de me replonger dans la filmographie du maître européen et surtout d’assister à ce qui semble être (enfin!) sa consécration. Il était grand temps!
Tout d’abord parce que plusieurs distributeurs américains semblent s’être donné le mot pour rééditer l’ensemble de son œuvre de façon (enfin!) adéquate. Le 26 avril prochain, Anchor Bay lancera donc en magasins l’édition Blu Ray de son classique Profondo Rosso (1975), un pastiche du Blow Up d’Antonioni dans lequel un pianiste et une journaliste partent sur les traces d’un mystérieux tueur ganté qui met à mort ses victimes de façon très élaboré. Onde de choc à sa sortie, le film à l’imagerie inoubliable et à l’audace technique d’un visionnaire demeure encore aujourd’hui l’inspiration directe du Blow Out de De Palma sorti quelques années plus tard et offre l’une des meilleures trames sonores jamais produites pour un film de genre. Enregistré par les jeunes Goblin, groupe rock romain embaûché par Argento pour insuffler un peu de folie à ses images et avec qui il collaborera sur presque tous ses plus grands films (une association aussi marquante que celle de Leone et Morricone), l’album allie guitares rock aux vertigineux solos de synthétiseur Moog et aux accords d’orgues d’église. La légende veut qu’un million de copies de la dite galette se soient envolées durant la première année d’exploitation du film. Un classique d'entre les classiques qui a même influencé John Carpenter dans la composition du fameux thème d'Halloween quelques années plus tard.
Après Profondo Rosso en avril, c’est l’intégralité du catalogue d’Argento qui devrait passer en mode Blu Ray d’ici la fin 2011, en attendant le remake américain de Suspiria promis depuis belle lurette.
Également, c’est ce mois-ci que le très respecté magazine français Mad Movies consacre l’entièreté de son numéro spécial à Dario Argento. Très poussé, le dossier comprend des entrevues avec plusieurs de ses collaborateurs (directeurs photos, producteurs mais aussi les membres du groupe Goblin, toujours fidèles au poste, décortiquant l’influence de groupes comme Genesis et Emmerson Lake & Palmer sur la musique de films d’horreur italiens) et surtout une analyse en profondeur de chacun de ses films. On y redécouvre ainsi qu’Argento a collaboré avec Sergio Leone au scénario d’Il était une fois dans l’Ouest, que son premier succès populaire L’oiseau au plumage de cristal (1970) a été qualifé de pâle essai hitchcockien à sa sortie, qu’il a souvent fait preuve de déviance en dénudant et en assassinant sa propre fille Asia Argento à l'écran (surtout dans Opera et dans le très mauvais Mother of Tears), que son prochain projet consiste en une version 3D de Dracula, et qu’il préfère encore aujourd’hui la solitude d’une maison de campagne ou de son bureau de Rome pour accoucher de ses scénarios cauchemardesques. « Je dois me replier en moi-même ou arriver à rêver pour coucher sur papier toutes mes obsessions. Une solitude extrême est la seule façon que j’ai trouvée pour y arriver! »
Quiconque prétend encore que le fantastique et l’horreur sont des sous-genres cinématographiques n’ont pas passé un moment avec ce bon vieux Dario Argento. Jamais la violence et la mort n’auront été montrées d’aussi belle façon.
5 incontournables de Dario Argento
L’oiseau au plumage de cristal (1970)
Profondo Rosso (1975)
Suspiria (1977)
Tenebre (1982)
Phenomena (1985)