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Mon Jésus est un Britannique

Auriez-vous l’étoffe pour jouer un prophète?  Auriez-vous ce qu’il faut pour vous glisser dans la peau du Messie?  Auriez-vous le guts de jouer Jésus?

D’aussi loin que je me souvienne, l’image que je me fais de Jésus-Christ est celle d’un trentenaire charismatique et barbu aux grands yeux bleus et à l’accent british coupé au couteau.  Un Jésus né non pas à Bethléem mais au nord-ouest de Manchester, en Angleterre.  Et il en est ainsi depuis 34 ans pour des millions de fidèles à travers le monde.  Des millions de téléspectateurs qui, à chaque Pâques, comme ce week-end, regardent Robert Powell dans le classique téléfilm Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli.  Une tradition sacrée.  Comme le Grinch du Dr. Seuss et le Noël de Charlie Brown durant les Fêtes.

Jésus et Orange Mécanique
À l’époque, en 1977, on dit que le film avait été commandé par « les plus hautes instances ».  Le Pape Paul VI.  Scénarisé par Zeffirelli lui-même et Anthony Burgess (auteur d’Orange Mécanique 15 ans auparavant!), le film a à ce point plu aux autorités catholiques qu’après sa grande messe pascale retransmise partout dans le monde, le Pape en personne aurait suggéré aux fidèles de rentrer à la maison pour regarder la première diffusion de Jésus de Nazareth à la télévision.  L’Église venait de trouver son plus grand outil de missionnairisme.  L’image d’un Jésus fait d’amour et de compassion et, surtout, de magnétisme.  « C’était très important pour moi de choisis un acteur capable de tout transmettre avec son seul regard.  Un acteur capable de parler à la caméra! », de raconter Zeffirelli dans le documentaire The Passions : Films, Faith & Fury.

Et quel regard!  Je peux aujourd’hui dire que ma jeunesse a été marquée par le regard perçant et hypnotisant du Jésus de Robert Powell.  Des yeux d'un bleu abyssal fixant directement la caméra sans broncher ni cligner durant ce qui me semblait être une éternité, scrutant nos âmes en livrant ses paraboles au son de la musique macabre du compositeur Maurice Jarre (le père de Jean-Michel).  Terrifié par la séquence finale de la Crucifixion, je passais des nuits à me retourner dans mon lit en songeant au visage ensanglanté de Powell mourrant en me fixant sur sa croix tout en lançant, accent britannique à l’appui : « It’s accomplished! »  Un film plutôt traumatisant pour le jeune fan de films d'horreur que j'étais pourtant déjà.

Jouer et devenir Jésus
Je me suis longtemps demandé ce qu’était devenu Robert Powell après Jésus de Nazareth.  Un saint?  Un prêtre?  Un preacher dans une chapel of love de Vegas?  Rien de tout ça.  Plutôt, un simple acteur de soaps et de téléséries britanniques.  Comme quoi incarner le fils de Dieu n’ouvre pas nécessairement les portes du paradis…

« Je ne me suis pas posé trop de questions ni mis de pression lorsque j’étais sur le plateau », explique-t-il aujourd’hui tout simplement dans le documentaire The Passions : Films, Faith & Fury.  «D'autant plus que malgré tout ce qui a été écrit par ses apôtres, il n'existe pratiquement pas de réelles traces historiques de Jésus sur lesquelles baser son interprétation.  Et pourtant, il semble que mon Jésus ait marqué les gens parce qu’au cours des années, j’ai reçu littéralement des dizaines et des dizaines de milliers de lettres de gens me disant que j’avais joué le Jésus qu’il avait toujours vu dans leur tête.  Je suis un peu devenu l’image officielle du Christ! »

Ce n’est donc pas donné à tous les grands acteurs d’incarner un personnage aussi grand et aussi important.  Peut-être l'un des plus grands en fait.  Lors de la sortie de leurs films respectifs , on a souvent demandé à Ben Kingsley où il avait trouvé la sagesse pour incarner Ghandi, à Liam Neeson s’il avait la même bonté que l’Allemand Oskar Schindler et à Michel Côté s’il avait la même étoffe de héros que le commandant Piché.  Soit.  Un grand homme est une chose.  Mais que faut-il pour incarner le Messie?  Jésus-Christ en personne!  Beaucoup plus qu’une session à l’Actor’s Studio et un bon agent!

« En fait, lorsque moi j’ai eu à jouer Jésus, je me suis calmé en me disant que j’allais trouvé Mon propre Jésus », explique Willem Dafoe dans le documentaire cité plus haut au sujet de son rôle dans The Last Temptation of Christ (1988) de Martin Scorsese.  Résultat?  Un Jésus torturé au côté obscur et aux visions foncièrement humaines (avant de mourir, il imagine ce qu’aurait été sa vie si, au lieu de la donner au Seigneur, il avait succombé à la tentation et marié Marie Madeleine).  Une interprétation à des lunes de celle de Robert Powell, plus proche de celle que livrerait Jim Caviezel dans la sanguinolente Passion de Mel Gibson en 2004 (un Jésus martyr et soufrant fait de chair et de sang et non de lumière céleste et de petits anges).

En fin de semaine, après avoir revu le dernier épisode du Jésus de Zefferelli, je suis même tombé sur The Greatest Story ever told (1965) de George Stevens, avec son Roi des Juifs incarné par Max Von Sydow.  Max Von Sydow, acteur fétiche et alter égo du maître suédois Ingmar Bergman, prêchant à ses disciples avec son accent scandinave et sa barbe parfaitement taillée.  Max Von Sydow portant sa croix (aidé par un jeune Sidney Poitier) tout en conservant une coiffure et une permanente sans faille.  Un Jésus propret, hollywoodien à l’os et à la limite du péplum.

Jésus est un Québécois
J’en suis venu à me demander qui aurait la prestance et le magnétisme pour incarner Jésus si on tournait notre version québécoise de l’Histoire Sainte.  Qui aurait ce qu’il faut pour guérir miraculeusement les malades, prêcher sur la montagne et donner sa vie pour nous?  Lothaire Bluteau a bien livré une version urbaine du Messie dans le Jésus de Montréal d’Arcand…  Roy Dupuis?  Ovila devenu Sauveur?  Claude Legault?  Le bourreau et tortionnaire des 7 Jours du Talion subissant à son tour la torture des Romains?  Patrick Huard?  Le bad cop repenti pour devenir bon petit Jésus?

En vérité, la question demeure.

Les voies du Seigneur sont impénétrables.