Y a-t-il vraiment une différence entre les peintures de Jackson Pollock et celles d’un enfant d’âge préscolaire? Les peintures abstraites exposées au Moma de New York ou au Centre Pompidou de Paris valent-elles vraiment plus que le portrait de famille dessiné par votre petit garçon durant son cours d’arts plastiques?
J’ai cette semaine ressorti des boulamites My Kid could Paint That, un passionnant documentaire d’Amir Bar-Lev sorti en 2007 au Festival de Sundance et qui vient d’atterrir sur le réseau NetFlix. Le portrait de Marla Olmstead, une jeune fillette de l’État de New York qui démontre de réels talents pour la peinture abstraite, à tel point qu’on s’arrache rapidement ses toiles pour plusieurs milliers de dollars (l’ensemble de son corpus vaudrait dans les 300 000$!). « C’est la liberté et l’innocence qui se dégagent des œuvres de Marla », explique un couple de collectionneurs ayant déboursé une somme astronomique pour l’un des canvas de l’enfant. « Pour nous, elle fait partie des génies. Nous l’avons donc placée à côté de notre sculpture de Renoir. »
Dépassés par les événements, les parents de Marla acceptent bientôt que l’équipe de l’émission 60 minutes installe une caméra cachée afin de la filmer peignant une nouvelle toile. Voir le jeune génie à l'oeuvre! Les images qui en résultent déclenchent un véritable scandale dans le milieu de l’art désormais gaga de la jeune prodige : devant la caméra, Marla semble incapable de reproduire le style de ses autres peintures. Serait-ce donc un gigantesque coup monté? Marla aurait-elle réellement peint elle-même toutes les autres œuvres ayant été vendues auparavant? Son père, lui-même peintre à ses heures, en serait-il le réel auteur?
« Ce tableau n’est pas du tout celui d’un enfant prodige », analyse une psychologue pour enfants à qui on présente la vidéo montrant Marla travailler d’arrachepied pour compléter sa toile. « Tout ce que je vois, c’est une petite fille normale et charmante peignant comme le ferait un enfant d’âge préscolaire. La seule différence, c’est qu’elle a un coach qui la pousse à continuer! » On est donc loin d’un cas comme celui de Mozart qui, déjà, à l’âge de 3 ans, avait l’oreille absolue.
Un passionnant débat qui soulève plusieurs problématiques liées au monde et au marché de l’art contemporain. Qu’est-ce qui fait qu’une œuvre abstraite est plus valable qu’une autre? Pourquoi dépenser des millions de dollars pour un carré rouge peint au centre d’un grand canevas blanc? En quoi les supposément révolutionnaires techniques de dripping de Jackson Pollock sont-elles différentes du dégât de peinture d’un enfant de 5 ans (son Numéro 5 peint en 1948 s’est tout de même envolé pour 140 millions de dollars!)?
Des préjugés de monsieur et madame tout le monde que le documentaire d’Amir Bar-Lev n’aide pas à chasser. Pour plusieurs, une promenade à travers les galeries du Tate Modern de Londres équivaut à une visite dans une exposition d’art montée par les enfants d’une garderie.
Il faut voir la jeune Marla s'amuser au milieu de l'intelligentsia du milieu artistique réuni à l'un de ses vernissages. Cherchant innocemment les bonbons dans le buffet alors qu'on s’extasie autour d'elle en sortant son porte-feuille, Marla n'en a que faire de l'emballement des collectionneurs et des médias cherchant à la rencontrer. "Que vouliez-vous dire en peignant ceci?!", lui demande un reporter devant les caméras. "Où allez-vous puiser votre inspiration?" En guise de réponse, de simples tatas enfantins d'une pauvre petite fille prise malgré elle dans l'oeil du cyclone.
Enfant prodige? Pas plus que vous et moi. Et peut-être pas plus que Jackson Pollock.